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Alternatives & Révolutions
10 juin 2011

Autorisation de publication sur internet accordée

Autorisation de publication sur internet accordée à l’A-DU en janvier 2006
par l'auteur. Tous droits réservés.

Armand Keravel (1910-1999 ) ou l’Apostolat laïque d’un homme
au service de la langue et de la culture bretonnes

par Yvon LE VEN

Exposé au cours d’une séance de l'A-DU au CRBC le 12 avril 2005

       Comme prévu de longue date, je suis là pour vous présenter A. Keravel qui a été l’un des principaux militants culturels régionalistes bretons.
Depuis les années 70, les Bretons ont retrouvé une identité collective positive et la fierté de leur langue et de leur culture. Ils n’ont plus honte de ce marqueur essentiel d’identité qu’est la langue bretonne. Ils le doivent aux militants culturels qui se battent contre la politique linguistique unificatrice de l’Etat, lequel, depuis la révolution s’est acharné à faire disparaître les langues régionales.
En Bretagne A. Keravel a consacré sa vie de militant à la sauvegarde de la langue. Son action a porté sur les revendications pour l’enseignement du breton. Elle s’est élargie rapidement à l’ensemble des langues régionales de France et d’Europe. De façon plus générale, c’est pour la défense des droits culturels des Bretons et des peuples minoritaires qu’il a agit. 
Il me fallait trouver un sujet pour le mémoire de maîtrise de celtique que j’ai soutenu ici même le 9 septembre dernier. Après avoir hésité entre plusieurs voies et compte tenu des encouragements de Yves Le Berre et de Gaël Milin, j’ai choisi de faire de la biographie d’A. Keravel le sujet de mon travail d’étude et de recherche, que j’ai intitulé :

« Armand Keravel (1910-1999 ) ou l’Apostolat laïque d’un homme au service de la langue et de la culture bretonnes »

Il se trouve que mon épouse est une amie d’enfance des filles d’A. K. ; cela m’a permis d’avoir accès à des documents familiaux (lettres, photos) qui ont complété les archives que la famille a remis au Centre de Recherche Bretonne et Celtique et qui constituent le fonds Keravel. Le C.R.B.C. m’a demandé d’en effectuer le classement provisoire. J’ai été autorisé aussi, par dérogation, à consulter le dossier professionnel de l’instituteur laïque A. Keravel aux Archives Départementales du Finistère.
Ainsi j’ai disposé, non seulement de documents manuscrits ou imprimés abondants, mais aussi de sources orales, de témoignages, d’interviewes de personnages qui ont partagé avec lui la même passion pendant plusieurs dizaines d’années. On peut difficilement dissocier l’instituteur public qu’il était, du militant breton. Armand Keravel a accompli ses tâches d’instituteur avec honnêteté et compétence et de militant breton avec un absolu désintéressement. Ainsi de 1929, année où il devient instituteur suppléant, à 1954, année où il est détaché de l’Éducation Nationale comme “ animateur des activités culturelles bretonnes dans l’enseignement public ”, il a contribué à la diffusion de la langue française tout en travaillant d’arrache-pied, comme militant culturel, à faire entrer le breton à l’école de la République, dans la légalité. Comme enseignant bretonnant, il était donc bien placé pour percevoir tout l’intérêt qu’il y aurait eu à tirer de l’utilisation de la langue bretonne qui était la langue maternelle de la plupart des jeunes ruraux de basse Bretagne dans les années 30, pour une acquisition rapide du français. 
Si Armand Keravel n’a pas produit une œuvre littéraire, il a cependant beaucoup écrit entre les années 1930 et 1995. Dans le domaine public, nous lui devons des centaines d’articles pour les journaux ou pour diverses revues, ainsi que la préparation de nombreux discours ou de textes de propositions de lois multiples dont il a imaginé la trame. Il a aussi écrit sur la pédagogie de l’enseignement du breton, réuni des “ Pennadou lenn brezoneg ” (morceaux choisis en breton) en plusieurs publications. Il a effectué la traduction en breton de la pièce de théatre de Tchekhov “ Une demande en mariage ” (Eur goulenn dimezi) et nous lui devons aussi une petite pièce de théâtre “ Ar Bleizi ” (Les loups). Dans le domaine privé, j’ai constaté qu’il a échangé des milliers de lettres avec tous les gens intéressés, soit par la langue et la culture bretonnes, militants ou non de l’Emzao , soit par l’avenir des langues et cultures minoritaires de France et d’Europe.
A. Keravel, instituteur laïque, a vécu son militantisme comme un apostolat ; il s’est totalement voué à la propagation de l’idée de faire entrer la langue bretonne à l’Ecole de la République. L’enseignement sera son sacerdoce. 
Je vais maintenant vous résumer son action dans le mouvement culturel breton et montrer les conséquences qui en découlent. Toutes les citations que je lirai sont extraites de documents, lettres, signalées en notes de bas de page dans le mémoire déposé au CRBC. La plupart des textes de lettres y sont rédigés en breton et traduits par moi. Ces sources sont consultables au CRBC, à l’exception du dossier professionnel qui se trouve aux Archives Départementales.


1ère PARTIE

UN PARCOURS INITIATIQUE 

AU TEMPS

DU 

2ème EMZAO

(1918 -1944)




Armand Keravel naît à Brest le 18 février 1910 de parents bretonnants originaires de la presqu’île de Crozon. Les 10 premières années de sa vie, Armand les a vécues en dehors de Bretagne, au gré des affectations de son père dans la Marine Nationale. C’est la raison pour laquelle il n’est pas bretonnant de naissance. Lors du retour de la famille à Brest en 1920 et jusqu’en 1925 le jeune adolescent fréquente des milieux bretonnants. Lors des vacances chez ses grands-parents paternels il acquiert les bases du breton populaire pour lequel il va nourrir une véritable passion. A l’école primaire supérieure (E.P.S.), à Brest, il fait la connaissance de Yann Kerlann (Jean Delalande), du même âge que lui, qui devient son meilleur ami dans les années 30. Armand obtient son Brevet Elémentaire en 1927. Il connaît aussi les personnages que sont déjà Roparz Hémon et Yann Sohier,
La fréquentation de ces deux hommes exceptionnels, aux positions bien nettes pour ce qui concerne l’enseignement du breton, a eu une influence déterminante qui a contribué à forger l’homme de caractère qu’il va devenir. On peut dire qu’il est tombé au centre du chaudron du mouvement culturel breton de l’entre-deux guerres que l’on appelle le deuxième Emzao. 

La Jeunesse d’A. Keravel (Période 1927 – 1945)
Ou l’initiation à 2 activités : le métier d’instituteur public, le militantisme breton 

LES ANNEES D’AVANT GUERRE

C’est donc à l’âge de 17 ans et avec le brevet élémentaire comme viatique que Armand quitte l’école en tant qu’élève. Vous voyez, contrairement à ce que l’on peut lire parfois, Armand Keravel, n’est pas passé par l’Ecole Normale d’Instituteurs : il suffisait alors d’avoir son Brevet Elémentaire pour prétendre à un poste d’instituteur public suppléant, ce qu’il devient en 1929, à l’école publique de Plouzévédé au cœur du Léon. Il y découvre la difficulté d’enseigner le français à des enfants monolingues bretonnants au moment de leur entrée à l’école à 6 ans. Quatre ans plus tard il est titularisé à la suite de l’obtention du C.A.P. (Certificat d’Aptitude Pédagogique.)


Militer pour un Idéal progressiste breton. 

Comme Yann Sohier et Yann Kerlann, il a été membre du P.A.B au début des années 30 avant de se consacrer avec eux à Ar Falz (La faucille), le mouvement des instituteurs laïques partisans de l’enseignement du breton. Ce mouvement qui s’inspire du modèle de l’URSS, alors le phare des peuples pour les progressistes, revendique la reconnaissance des droits culturels du peuple breton et en premier lieu le droit à l’enseignement dans sa langue maternelle.
Yann Sohier depuis plusieurs années se proposait de lancer une revue plus spécialement destinée aux milieux de gauche. Des réflexions du groupe restreint d’instituteurs laïques, dont Yann Sohier est le grand pionnier et sous l’impulsion d’Armand Keravel qui n’a pas encore 20 ans, naîtront Ar Falz et son bulletin mensuel dont le premier numéro est édité en janvier 1933. Les idées claires et fortes qu’il affiche se situent dans le cadre des luttes prolétariennes et progressistes en accord complet avec celles émises par Emile Masson à partir de 1910. Les différentes actions réalisées en cette période, si elles n’ont pas eu le succès attendu, en partie à cause du décès par maladie de Yann Sohier, ont permis à A. Keravel, jeune homme de 23 ans d’apprendre le mode de fonctionnement et la gestion d’Ar Falz.


Enseignement Public, Vie Privée, Militantisme.

Après sa titularisation, le hasard des affectations le mène de Morlaix à Huelgoat et Moëlan-sur-Mer où il épouse Renée Le Guellec, elle-même institutrice titulaire qui le soutiendra dans son parcours parfois difficile de militant et lui donnera trois filles. Il écrit son premier article, dans Ar Falz n° 2 de février 1933, qui s’intitule “Pour l’enseignement de notre langue maternelle” sous le nom de plume : Mestr skol bihan (Le petit instituteur). Ainsi dès l’âge de 23 ans il se montre résolu à lier l’Ecole de la République et les droits culturels du peuple breton. S’il n’a pas été scolarisé au-delà du Brevet Elémentaire, Armand Keravel n’a pas cessé pour autant de s’instruire dans les années 30. C’est la langue bretonne et la matière bretonne en général qui l’intéresse. Il suit le cours par correspondance de Pierre Le Roux, titulaire de la chaire de Celtique à l’université de Rennes, pendant plusieurs mois au cours desquels il participe aux regroupements des élèves à Rennes certains jeudis. Ces études sont sanctionnées par le diplôme d’Etudes Celtiques, décerné le 8 juin 1938. 


LES ANNEES DE GUERRE

Les époux Keravel exercent à Lanmeur d’octobre 1939 jusqu’aux vacances de Noël 1940. Il y a plus d’un an que la guerre est déclarée. C’est le régime du gouvernement de Vichy. Le couple de militants bretons actifs, aux idées progressistes, très à gauche sur l’échiquier politique, ne passe pas inaperçu et d’aucuns les soupçonnent d’être “autonomistes”. Une enquête est diligentée par le Préfet du Finistère, à la suite de laquelle ils reçoivent une lettre de l’Administration leur signifiant qu’ils sont désignés – “Dre gastiz” (par punition), selon Armand Keravel, pour l’école publique de Landéda dans le Léon où ils exercent jusqu’à la fin de la guerre ou presque. 


Collaboration ou Résistance : un choix définitif.

Au début de la seconde guerre mondiale, il faut aux militants bretons choisir entre plusieurs options : résister à l’occupant, collaborer ouvertement ou ne rien faire. Certains militants de l’Emzao, surtout ceux du PNB, choisissent, pour des raisons tactiques et idéologiques de collaborer avec l’ennemi. Dans les années 30, des relations s’étaient nouées entre eux et le pouvoir nazi. Dans le même temps, le groupe des Instituteurs Laïques dénonçait le fascisme dans la revue Ar Falz : je cite, « Le fascisme c’est avant dix ans la guerre inévitable […] » . L’Histoire leur a donné raison. Leurs actions militantes deviennent alors clandestines et le bulletin mensuel cesse de paraître en juillet 1939 ; ils choisissent le silence pour ne pas compromettre la cause de l’enseignement de la langue bretonne. La plupart d’entre eux, compte tenu de leurs convictions, optent pour la résistance intérieure et c’est le cas d’Armand Keravel, malgré les sollicitations, les pressions diverses de ses amis de l’Emzao qui ont sauté le pas et qui souhaitent voir leur ami les rejoindre. Celui-ci refuse catégoriquement.
Tout d’abord il refuse que son nom apparaisse sur le “Placet des grandes associations bretonnes à Monsieur le Maréchal PETAIN, Chef de l’Etat Français. Ce document est daté du 1er décembre 1940. 
Il refuse aussi de devenir membre de l’Institut Celtique mis en place à Rennes en 1941 par le gouvernement de Vichy et que dirige Roparz Hemon. 
Il refuse egalement de collaborer au journal nationaliste “ l’Heure Bretonne ”, ainsi qu’à “ La Bretagne ”, d’obédience vichyste que dirige Yann Fouéré.
M. De Stagasan, directeur de l’Association Bretonne, fondée en 1843, l’inscrit d’office sur la liste des membres de cette association laïque mais située à droite sur l’échiquier politique : nouveau refus de Keravel.
François Eliès, de son nom de plume Abeozen, en poste à l’Institut Celtique, est un ami qui veut influencer Keravel pour l’attirer dans son camp. Il n’a pas plus de succès .
Le meilleur ami de jeunesse d’A. Keravel, Yann Kerlann, est directeur d’Ar Falz de 1935 à 1939 ; pendant ces années, ils œuvrent à la réussite du mouvement, mais si A. Keravel reste fidèle à la philosophie du mouvement, Kerlann rejoint le camp de ceux qui pensent que l’Emzao peut tirer profit d’un rapprochement avec l’envahisseur allemand, au mois d’août 1940. Pour autant les deux hommes restent amis, comme le montre l’abondant courrier qu’ils échangent jusqu’à la Libération. 
Vers la fin de l’année 40 A. Keravel reçoit de Youenn Drezen, journaliste et écrivain breton, le courrier suivant :

« Cher vieux,

C’est encore moi, et à mon tour je viens te solliciter.
Comme tu le sais j’ai pris en charge la direction de la page bretonne de “L’Heure Bretonne”. […] Toi mon vieux Kéravel, tu ne peux pas refuser de m’aider : une note, une réflexion, une petite chanson, un conte, entre 20 et 50 lignes… Pour que l’on entende la voix du pays de Lanmeur. Assurément, tu ne me les refuseras pas non plus. 
De tout cœur – Y. Drezen.)

La réponse de Keravel ne se fait pas attendre :

Cher ami, 

Je suis navré de ne pas pouvoir te répondre par un OUI catégorique. Je ne t’apporte pas d’excuses pour justifier mon refus. Ce n’est pas par manque de temps, quoique j’aie d’autres travaux à faire, ni par peur (comme te le diront peut-être les mauvaises langues en parlant de moi – Je ne partage pas vos idées, voilà.
La route choisie par l’équipe de l’H.B. est la plus mauvaise option pour mener le Peuple Breton vers la Bretagne nouvelle que nous cherchons tous à établir. Ils se sont attelés au pire travail qu’il y avait à faire en ce pays. Vous avez pris le plus mauvais chemin pour aller vers le Peuple – le Peuple Breton. Je ne veux pas collaborer à l’œuvre néfaste que vous entreprenez. […]
Je travaillerais de bon cœur pour le Breton [sic] dans les Ecoles. [sic] 

Les termes de la réponse à Youenn Drezen montrent toute l’importance qu’accorde A. Keravel à la relation avec le peuple ; ceux de son ami Kerlann, parfois, expriment un discours fascisant bien dans la ligne du P.N.B. et de Roparz Hemon, dont le but est de former une élite qui parle une langue bretonne normalisée, en vue d’un futur Etat breton, en se souciant fort peu de l’adhésion du peuple, aux dialectes divers, à ses idées. Qu’on en juge : 

[…] Madame Jaffrès est un peu trop emportée et désinvolte, mais cette fois je dois reconnaître qu’elle a exprimé ce que les gens de l’Emzao pensent de toi. Oui ! Tu es un “Breton traître” pour tous, ainsi parce que tu as peur, tu te défiles en donnant comme excuse la fidélité à tes convictions. Finalement on ne peut avoir confiance en toi, sauf peut-être pour la langue bretonne à laquelle tu pourrais rendre service. Pour tous les opposants – puisque tu défends la langue, certainement (le “peuple” [1] n’entre pas dans les détails), tu es un “Crypto-autonomiste”. 
[1] Le “peuple” : des avaleurs de “couleuvres” énormes ! Ah ! ma foi, maintenant je sais qu’on peut lui faire gober n’importe quoi “au peuple” – S’il n’y a pas de dirigeants pour s’occuper de leurs intérêts, sans leur demander leur avis, ils ne bougeront jamais ! 

L’intransigeance de Keravel est d’autant plus remarquable que sur le plan personnel et familial, pourtant, « […] Armand s’est trouvé à un moment confronté au dilemme de devoir choisir entre le sort de son frère Robert, prisonnier en Allemagne, et la fidélité à ses idées, à savoir le refus de toute collaboration avec ceux, des Bretons ou des Allemands, jouant la carte de la Bretagne contre, disons, la France, la Résistance, la France résistante . » 


La graphie dite “ superunifiée ” : un refus immédiat et définitif d’A. Keravel.

Une nouvelle orthographe est née sous l’autorité allemande le 8 juillet 1941. Elle est adoptée par des Bretons ayant des projets politiques pour la Bretagne, en particulier le groupe de l’Institut Celtique que dirige Roparz Hemon. Elle est censée intégrer le quatrième dialecte qu’est le vannetais. Elle est qualifiée en breton par le mot : “peurunvan” (“superunifiée” ou “complètement unifiée".) La nouveauté de cette graphie, c’est surtout la création d’un signe cumulatif, le “ ZH ”, dans les mots où le dialecte KLT dit “ z ” et le dialecte vannetais dit “ h ”. Par exemple : le mot français chat s’écrit en KLT : kaz et en vannetais kah ; il devient kazh en superunifié . 
Son rejet de la graphie ZH, si catégorique, est sous-tendu par des raisons politiques : la nouvelle graphie est le symbole de la collaboration du mouvement breton, « elle porte la trace des trahisons de la guerre ». Par conséquent il n’est pas question de compromettre le mouvement en adoptant cette orthographe, celle des “Breiz Atao”, dans la revue Ar Falz.
Ainsi, dès la mise en application de la nouvelle graphie A. Keravel est pour le moins fort contrarié ; cela ressemble rapidement à de la colère noire : voici par exemple ce qu’il écrit en décembre 1941 à son ami Kerlann :

( […] Au sujet de l’orthographe – Je ne sais pas si d’autres personnes t’écriront ou te diront cela : l’article que tu as écrit, dans cette nouvelle orthographe, dans l’Heure Bretonne cette semaine, est horrible. Regarde le bien encore, et juge le loyalement et avec sincérité : ce “breton” ( ? ? ) épouvantable est une HONTE. Je sais bien que tu es de mon avis, dans ton for intérieur. Sauf que tu estimes qu’il est de ton devoir d’obéir ! Obéir aux ORDRES de qui ? ?… Tu me l’as dit, d’où venaient ces ordres. 
Jusqu’où pourra t’on faire plier les gens les plus “droits” Quel sacrifice leur demandera-t-on encore pour satisfaire des promesses aussi importunes les unes que les autres ? – jusqu’où serez vous traînés ? Je te le dis : vous êtes vraiment des gens doux, et dociles, dociles !)

Si pour beaucoup de bretonnants d’aujourd’hui le problème de l’orthographe est secondaire, voire négligeable, pour A. Keravel il n’en va pas de même ; dans un premier temps il critique la nouvelle graphie, qu’il désavoue, sur les plans linguistique et pédagogique. Mais rapidement cette graphie et son signe emblématique le ZH, devient le symbole du nationalisme breton et il la rejette définitivement. Non seulement il la rejette mais il la combat jusqu’à la fin de sa vie. 


Préparer le terrain en vue de la renaissance d’Ar Falz.

Dès août 1942, Keravel adresse, dans la clandestinité, une note aux militants d’Ar Falz, une quarantaine de personnes selon lui, dans laquelle il se désolidarise des collaborateurs, qu’il condamne indirectement, et dont voici les principaux extraits .

« Ar Falz n’a marché à la remorque d’aucune des organisations créées depuis trois années, grâce à l’appui et à l’argent des Allemands. Ar Falz n’a pas suivi le “ mouvement breton ” sur le chemin de la corruption et de la servitude. Ar Falz est demeuré fidèle à son nom, à son fondateur, à son idéal. […] Il faudra combattre les effets de cette propagande à rebours, œuvre lamentable des gens de l’Heure Bretonne d’Arvor, Gwalarn, Institut Celtique, de la Bretagne, la Dépêche, etc… Ar Falz revivra ! […] Ar Falz vaincra les préjugés qui se dressent encore contre le breton ! Ar Falz ouvrira pour de bon les portes de nos écoles à la langue du Peuple ! Vive Ar Falz ! ”

A l’évidence il envisage déjà de prendre en mains la destinée du mouvement dès la fin de la guerre. Mais c’est la “langue du peuple” qu’il veut enseigner à l’école laïque et non la langue littéraire, élitiste, de Gwalarn et de Breiz Atao, élaborée par Roparz Hemon et les nationalistes. On comprend mieux dès lors, à la lumière des rapports entre les militants bretons au cours de la guerre, la violence de ses propos, dans les premiers numéros du bulletin Ar Falz, à la Libération, contre la petite partie du mouvement breton qui a collaboré avec l’occupant, et pourquoi il restera aussi intransigeant jusqu’au bout lors des nombreuses tentatives de rapprochement des différentes sensibilités de l’Emzao pour établir une graphie unique du breton.


Militer : une sinécure pour la famille Keravel ?

Un rapport de l’Inspecteur Primaire de Morlaix, du 22/10/1940, qui signalait les relations ostensibles des époux Keravel avec des autonomistes notoires est à l’origine du déplacement du couple de Lanmeur à Landéda en décembre 1940. Dans une note destinée aux Membres de la Commission d’Homologation et de Révision, les Keravel montrent qu’ils ont été « frappés à tort. »
Cette sanction que constituait le déplacement du couple Keravel de Lanmeur à Landéda, est annulée, fin 1946, par la Commission de Révision des Sanctions de l’Education Nationale.
A la Libération, 2.800 personnes de l’Emzao sont frappées d’internement administratif : il s’agit d’abord de les protéger contre la vindicte populaire, avant de les relâcher ou de les juger. C’est ainsi qu’A. Kéravel fait partie des 141 personnes emprisonnées au camp Margueritte à Rennes ; il est libéré 12 jours plus tard, son épouse Renée, entre autres, ayant remué ciel et terre pour que sa bonne foi soit reconnue et que justice lui soit rendue. Dans une lettre à Charles Le Gall du 25 décembre 1944, il précise :

« […] j’ai été emprisonné pendant douze jours […] comme autonomiste […] Quelque imbécile aura sans doute confondu “défense de la langue bretonne” et PNB, et m’aura dénoncé à tort. Le fait que l’on m’aie enfermé derrière les mêmes barbelés que ceux contre lesquels j’avais lutté a eu quelques retentissements : il y a eu des plaintes et il a bien fallu m’entendre. J’ai été libéré le lendemain. »

En définitive, la personne la plus indiquée parmi les quelques militants disponibles du mouvement des instituteurs et professeurs laïques pour prendre la direction d’Ar Falz est bien Armand Keravel. Au cours de ces quinze années de métier d’enseignant et de militant breton, il a amélioré ses connaissances en langue, histoire, littérature, théâtre bretons. Son objectif est clair après la guerre : obtenir l’enseignement de la langue bretonne dans le cadre de l’Education Nationale. 



2ème PARTIE

LE TEMPS DES
RESPONSABILITES
DANS
LE 3ème EMZAO
(1945 – 1995)

- A -
Du désenchantement des Bretons des années 40
à la fierté retrouvée
des années 70 :
la contribution d’Armand Keravel.
1945 – 1952


Armand Keravel : une incarnation d’Ar Falz

Pierre Jakez Helias qui fut le 1er président du Mouvement de la Culture Populaire Bretonne, évoquant les stages d’été d’Ar Falz disait : « […] nous transportions nous-mêmes, à partir de Brest et sous la direction sourcilleuse de notre secrétaire général Armand Keravel, cette incarnation d’Ar Falz, tout le matériel nécessaire pour le stage, y compris la bibliothèque. » De fait, ce dernier consacre tout son temps libre à Ar Falz. Il reçoit et dépouille tout le courrier de l’association et décide de la suite à donner. Les vacances d’été, pour lui, ne sont pas de tout repos : c’est le temps des “skol-hañv” (stages d’été) qu’il faut préparer pendant des semaines. 
Dans les cinq années d’après guerre, A. Keravel rédige pratiquement la moitié des articles du bulletin, sans compter ceux, non signés, qui sont la synthèse faite par lui d’une réflexion collégiale concernant parfois la politique du groupe ou des débats de moindre importance . C’est le travail d’un rédacteur en chef, qui s’ajoute à celui de secrétaire général du mouvement.
Il effectue de multiples démarches auprès des universitaires, des élus bretons et de ses confrères qu’il veut sensibiliser à la question de l’enseignement du breton à l’école.
Il lui revient aussi d’organiser l’Assemblée Générale annuelle et les réunions du Conseil d’Administration et d’en établir les comptes rendus. De plus le siège social étant son domicile, que ce soit à Dirinon ou à Brest : oui, vraiment, dans le quart de siècle qui suit la guerre, Ar Falz c’est A. Keravel et réciproquement. 

LA STRATEGIE ADOPTEE PAR AR FALZ APRES LA GUERRE



La seule façon pour le mouvement d’atteindre le but qu’il s’est fixé, est de s’adresser au gouvernement afin qu’il intervienne sur le plan législatif, pour définir un cadre à l’enseignement du breton. Dans cette optique il lui faut entretenir les meilleures relations possibles :
- D’une part, avec les hauts fonctionnaires du Ministère de l’Education Nationale, directement parfois ou par l’intermédiaire de l’Académie de Rennes et de l’Université, en particulier la Faculté des Lettres.
- D’autre part, avec les élus : les parlementaires bretons et les conseillers généraux ou municipaux des départements bretons afin de les sensibiliser également au problème de l’enseignement du breton. 
Pour la mise en œuvre de cette stratégie, une partie de la tactique du mouvement consiste à ne pas critiquer la politique du gouvernement en dehors des questions concernant l’enseignement.
Dès lors, le binôme « Keravel-Ar Falz » se consacre à la propagation de l’idée que la langue bretonne est porteuse de valeurs essentielles : c’est la mémoire du peuple breton et sa forme de pensée, c’est un trésor culturel qu’il lui paraît impératif de transmettre aux générations futures. 
Il réalise ce que l’Education Nationale, qui n’a jamais soutenu l’enseignement du breton, et c’est un euphémisme, aurait dû accomplir selon lui. En dehors des revendications pour l’enseignement de la langue, cette action se décline en six points : informer les enseignants – les préparer à devenir enseignant de breton – leur concevoir et distribuer des supports pédagogiques – encourager les élèves à suivre les cours de breton – organiser des concours interscolaires pour les stimuler – contribuer à l’éducation populaire d’une façon générale, en dehors de l’école. Je consacre un chapitre à ces réalisations dans le mémoire de maîtrise.


“ Keravel – Ar Falz ” et l’Education Nationale.

Les professeurs de la Faculté des Lettres de Rennes ont conservé la graphie unifiée d’avant guerre, le K.L.T. et les cours de la section de celtique sont dispensés dans cette orthographe. A. Keravel intervient auprès d’eux pour que cela perdure, craignant que le mouvement culturel d’obédience nationaliste qui utilise la nouvelle graphie, par son influence militante, ne change le cours des choses. Ensuite, une longue relation épistolaire s’établit entre le linguiste celtisant et néanmoins abbé Falc’hun, et l’instituteur communiste Keravel, tous les deux opposés à l’utilisation du ZH. Cette petite “Union Sacrée” contribuera au succès que sera pour les militants, la promulgation de la loi Deixonne. 
Il s’ensuit un échange de bons procédés, l’un ayant besoin de l’autre et réciproquement. Le professeur qui procède à une enquête sur la toponymie de basse Bretagne, lui suggère d’y participer.
Ar Falz a bien pris part à cette enquête comme le confirme l’abbé Falc’hun dans une lettre.
A son tour A. Keravel va solliciter F. Falc’hun et à travers lui la Faculté des Lettres de Rennes : il veut leur montrer les lacunes de la graphie adoptée le 8 juillet 1941 et les conditions dans lesquelles elle a été établie, afin que l’Education Nationale conserve celle d’avant la guerre.
A. Keravel reçoit de Meven Mordiern (René Le Roux), 6 copies de lettres qui ont été adressées à ce dernier entre juin 1941 et septembre 1942, - 5 d’entre elles écrites par R. Hémon, la sixième par un de ses collaborateurs. Ces 6 lettres constituent un dossier. Elles évoquent la façon dont a été adoptée la nouvelle graphie. 
Posséder un tel dossier est une aubaine pour A. Keravel ; il constitue un aveu de R. Hémon que la nouvelle graphie est ordonnée par les Allemands. C’est une arme qu’il utilise pour que l’orthographe “officielle” du breton demeure celle d’avant guerre, dans un premier temps. En l’expédiant à F. Falc’hun, A. Keravel espère que l’Education Nationale s’opposera formellement à l’emploi de la graphie de 1941, dans son domaine. Il se passe toutefois une année avant qu’un vœu de l’assemblée des professeurs de la faculté des Lettres de Rennes énonce dans ses « considérants » :

« que par suite de la carence de l’Université, l’enseignement du breton est actuellement dirigé par des autonomistes, anciens collaborateurs de la propagande allemande. » 

Mais surtout, ce qui satisfait A. Keravel et le mouvement culturel régionaliste en général, c’est le dernier alinéa ainsi rédigé : 

« [L’Université] maintient son opposition formelle à l’introduction en tout domaine de son ressort, de la réforme de l’orthographe bretonne, improvisée le 8 juillet 1941 à l’instigation de l’occupant, et n’admettra jamais cette orthographe, scientifiquement condamnable, dans aucun des examens dont elle a le contrôle. »

Force est de constater que le maintien de l’opposition de l’Université de Rennes à l’adoption de la graphie de 1941 est bien dû à l’action efficace d’A. Keravel auprès de F. Falc’hun.
A la suite de l’autorisation de cours facultatifs de breton, accordée aux lycées de Quimper et Brest, en septembre 1948, une réflexion pour une réforme de la graphie KLT est entamée par les deux hommes. Il faut attendre l’année 1955 pour que la graphie Universitaire (Skolveurieg), élaborée en 1953-54 au cours d’une série de réunions de travail organisées par la Fondation Culturelle Bretonne, sous la conduite du chanoine F. Falc’hun, soit adoptée par les régionalistes. C’est pour des raisons idéologiques , même si les raisons officielles relèvent de la linguistique et de la phonologie , qu’elle a été créée. La graphie Universitaire est approuvée par l’Education Nationale le 16 juin 1955 , et, par conséquent, remplace l’orthographe KLT dans les examens de l’Education Nationale. 
Dès lors, le mouvement culturel régionaliste, en adoptant cette nouvelle graphie et en l’appliquant dans les diverses publications du groupe, dans les articles de journaux, dans sa revue littéraire “Brud” (Renommée) dès sa création en 1957, se démarque un peu plus, du mouvement culturel nationaliste et de sa revue “Al Liamm” (Le Lien) éditée en orthographe ZH. A. Keravel tient particulièrement à ce que les membres d’Emgleo Breiz s’appliquent à fournir aux journaux des articles “revêtus” de la graphie Universitaire.
L’année 1958 voit les diverses composantes nationalistes du mouvement breton se grouper, elles aussi, en une fédération d’associations et d’éditeurs, nommée “Kuzul ar Brezhoneg” (Conseil de la langue bretonne), dont M. Pierre Denis (Per Denez) devient le président.
Le conflit latent qui existe depuis la fin de la guerre entre les deux mouvements s’amplifie à cette époque, au moment du passage de la 4ème à la 5ème République et de la prise du pouvoir par le Général de Gaulle. Les propos tenus dans Al Liamm ou Barr-Heol (Ensoleillée) revues nationalistes, sont provoquants et concernent souvent Ar Falz, membre essentiel d’Emgleo Breiz, et particulièrement son secrétaire général, A. Keravel. Je développe ce point au chapitre VII du mémoire.


“ Keravel – Ar Falz ” et la classe politique.

Il est fréquent d’entendre dire que les Bretons de basse Bretagne restent passifs devant le déclin de leur langue et de leur culture, au milieu du 20ème siècle. Ce n’est pas le cas de la classe politique : les parlementaires et les conseillers généraux, à cette époque, soutiennent fermement la cause de l’enseignement du breton. Il faut dire qu’ils sont aiguillonnés en général par Ar Falz et par l’UDB (Union des Défenseurs du Breton). A. Keravel et Léon Toulemont sont, avec leur groupe respectif, les principaux artisans des avancées obtenues concernant l’enseignement du breton, depuis la fin de la guerre jusqu’aux décrets d’application de la loi Deixonne. 
Dès 1945, A. Keravel entre en contact avec des députés bretons, afin qu’ils interviennent auprès des autorités de l’Education Nationale, pour obtenir que quelques chants du folklore breton soient admis à l’examen du C.E.P.E. Il est en relation épistolaire permanente avec les parlementaires, dont certains lui sont très familiers : le tutoiement et les formules de politesse utilisés dans les échanges avec Pierre Hervé et Marcel Hamon, respectivement députés communistes du Finistère et des Côtes du Nord et beaux-frères, laissent à penser qu’A. Keravel est lui aussi membre du Parti Communiste . Quelques mois avant le dépôt de la proposition de résolution Pierre Hervé, du 16 mai 1947, ce dernier lui écrit en ces termes : 

« Cher Camarade,
Je te serais reconnaissant de bien vouloir m’envoyer tous les documents nécessaires en vue d’une proposition de loi que présenterait le Groupe Communiste en faveur de l’Enseignement du breton.
Bien fraternellement – Pierre Hervé » 

Keravel s’empresse de lui préparer un dossier. Pierre Hervé en accuse réception par lettre du 7 janvier 1947. L’exposé des motifs et le texte de cette Proposition de Résolution qui constituent le fondement de la future loi Deixonne, sont à n’en pas douter le reflet de la pensée d’A. Keravel. On constate à la lecture d’Ar Falz, que les revendications du mouvement et le contenu des vœux des Conseils Généraux, d’une façon générale, sont presque semblables et suivent la chronologie : ceci montre bien le travail effectué par A. Keravel et ses démarcheurs pour sensibiliser les Conseillers Généraux aux problèmes de l’enseignement de la langue et de la culture bretonnes.
Pour tenter d’accélérer l’examen du projet de loi, le mouvement Ar Falz écrit à tous les députés des 5 départements bretons afin qu’ils interviennent auprès du président de la Commission de l’Education Nationale pour que le projet de loi soit présenté rapidement à l’Assemblée. Cette initiative semble débloquer la situation car le 22 décembre la loi est adoptée sans débat, en seconde lecture ; elle est promulguée le 11 janvier 1951. La joie est immense dans les milieux culturels bretons. La loi Deixonne est la seule concession gouvernementale faite au régionalisme. L’enthousiasme de la victoire ressenti par les militants régionalistes s’estompe rapidement : la mise en œuvre de la loi Deixonne, à cause du manque de directives officielles claires et de moyens pédagogiques, est un échec. Si l’enseignement est permis, il n’est pas encouragé. 
Voici le point de vue d’A. Keravel à ce sujet :

« La première loi, en 1951 : un leurre. […] Hélas, très rapidement, la loi de 1951 allait fortement décevoir en raison de l’étroitesse des dispositions que les parlementaires, contraints de céder aux exigences de l’administration centrale, avaient dû accepter. Les services ministériels s’employèrent à y ajouter des limitations supplémentaires, tant et si bien que quelques uns seulement des articles furent réellement mis en œuvre, – avec des moyens d’ailleurs quasi inexistants. En définitive en Bretagne comme en Occitanie, en Catalogne comme en Euskadi-Nord (sic), il ne se trouva qu’un petit nombre d’enseignants à tirer quelque parti, par militantisme, des très courtes dispositions inscrites dans la loi. […] » 

Keravel, qui ressent profondément la désunion qui s’installe dans le mouvement culturel a l’idée d’un organisme appelé à rassembler les ressources nécessaires à l’enseignement du breton. Quelques mois après la parution des décrets d’application, chacun des mouvements culturels régionalistes bretons établit le bilan de l’enseignement légal de la langue bretonne : force est de constater que les promesses du gouvernement à une délégation du CELIB ne sont pas tenues, que des instructions pour une application intégrale de la loi se font attendre… Ils réagissent et se regroupent au sein d’une nouvelle structure, la Fondation Culturelle Bretonne (Emgleo Breiz) (Entente Bretonne), qui est mise sur pied le 17 mars 1953, afin de rendre plus efficace leur action. 

*

IMPLICATION DE “KERAVEL – AR FALZ” DANS LA FONDATION CULTURELLE BRETONNE



La Fondation Culturelle Bretonne, se charge des relations avec la classe politique et le Ministère de l’Education Nationale mais Ar Falz, en tant que membre de la FCB dont A. Keravel devient l’un des trois secrétaires, contrôle indirectement les débats. Malgré tout son rôle demeure essentiel ; en effet depuis 20 ans Ar Falz revendique l’enseignement de la langue bretonne et A. Keravel en particulier est devenu expert en la matière. Ar Falz est le mieux placé pour évaluer les besoins des cours de bretons, constater les lacunes de la loi, dénoncer les carences de l’Education Nationale et proposer des solutions à tous ces problèmes lors des discussions internes de la FCB. En définitive, c’est encore “Keravel - Ar Falz” qui prépare les nouvelles revendications et la FCB qui les défend. Le rôle du mouvement est capital dans Emgleo Breiz car l’essentiel des revendications concernent l’enseignement du breton.
Keravel est l’un des animateurs principaux d’Emgleo Breiz, pendant 40 années. Il en devient le Président en 1992, et démissionne fin 1993 à deux mois de son 84ème anniversaire.
Entre 1951 et 1961, Keravel participe à 2 réunions au Ministère de l’Education Nationale, en présence du Ministre, et à l’élaboration de plusieurs projets de loi, qui sont déposés par : Tanguy Prigent, Jean Crouan, René Hostache. Une synthèse de ces 3 projets de Loi débouche sur le Rapport Le Duc, mais le 1er Ministre Michel Debré, s’opposant à son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale, condamne le Rapport Le Duc.
Ainsi, le dialogue commencé peu après la seconde guerre mondiale, entre les défenseurs des langues régionales et l’Education Nationale, s’achève par le veto de M. Debré. Le bilan n’est pas à la hauteur de celui qu’espérait A. Keravel, mais il n’est pas négligeable : 1951 – la Loi Deixonne ; 1956 – la Maîtrise ; 1958 : l’admission du Certificat de celtique pour la licence d’enseignement et le maintien de l’épreuve facultative de langue régionale aux examens. Les militants culturels comprennent que la lutte légitime pour leurs droits, ne peut se poursuivre ainsi. Le sentiment d’A. Keravel à ce sujet est le suivant :

« […] Nos moyens sont insignifiants, à côté de l’énorme machine administrative, universitaire et économique qui transmet aux quatre coins de la France les ordres, les principes et les “modes” préparées à Paris. […] Mais il ne fait pas de doute que l’évolution générale du monde, – qui semble pourtant, dans beaucoup de cas, aller à l’encontre de nos tendances, – nous donnera raison contre les centralisateurs de Paris. Partout on revient au Peuple, aux réalités “régionales” ou “nationales”, et le mouvement contre les conventions du classicisme s’étend de plus en plus… […] » 

Depuis lors, une certaine autonomie, la “Dévolution” a été accordée en Grande-Bretagne, au Pays de Galles et à l’Ecosse. En Espagne aussi, la Catalogne est devenue une région autonome et le catalan langue officielle. A. Keravel a été clairvoyant, même si en Bretagne il ne s’est rien passé de tel, pour l’instant.
A partir des années 60, les militants régionalistes envisagent de lutter pour une action régionale globale comprenant, en plus des problèmes culturels, tout ce qui concerne les sujets sociaux et économiques, que je développe dans un autre chapitre du mémoire.


Action d’A. Keravel dans Emgleo Breiz, “Commission Culturelle du CELIB”.

Un projet de Loi-Programme a été établi par la Commission Régionale d’Expansion Economique du CELIB ; il est adopté le 18 juin 1962.. Si ce document comporte un chapitre consacré aux affaires culturelles bretonnes, c’est aux démarches d’A. Keravel, appuyé par J. Martray, qu’on le doit selon Herri Gourmelen qui l’a bien connu : 

« […] A. Keravel a réussi, avec l’aide de Joseph Martray, à ce que les “forces vives” de la région, rassemblées au sein du CELIB, consentent que le problème de la langue et de la culture soit inclus dans la Loi-Programme. Ceux qui ont vécu cette époque savent combien il a été difficile de faire comprendre à certains syndicalistes et à certains travailleurs, que la langue, le tempérament, le dynamisme, l’envie de créer de nouvelles choses, étaient liés entre eux… Cette idée-là est aujourd’hui acceptée pratiquement par tout le monde. »

En définitive, bien que V. Giscard d’Estaing ait promis le dépôt du projet en décembre 1963, C. De Gaulle s’y oppose en juin 1964 : il ne conçoit pas qu’une telle initiative puisse venir d’ailleurs que de l’Etat, d’autant plus lorsqu’elle provient d’une région “sensible” comme la Bretagne ( En effet les manifestations paysannes de Morlaix de 1961 sont encore récentes.) 


A. Keravel et la grande pétition populaire d’Emgleo Breiz :

Début juin 1965, une campagne en faveur de la langue bretonne est lancée par Emgleo Breiz. Plusieurs appels sont diffusés à la radio par A. Keravel qui espère, au départ, recueillir au moins 1000 témoignages en faveur de l’enseignement du breton, afin de convaincre un personnage influent, favorable aux demandes bretonnes, qui « voudrait avoir la preuve que les Bretons n’ont plus honte de leur langue et que beaucoup d’entre eux souhaitent voir celle-ci enseignée. » Les mille lettres ont été recueillies en 3 semaines, toutefois, de nombreuses personnes insistent pour qu’Emgleo Breiz n’arrête pas là sa campagne de lettres. D’autres demandent avec force que le mouvement s’emploie à rassembler, en même temps, des bulletins en faveur du développement des émissions en breton, à la télévision et à la radio. La décision de poursuivre la campagne est prise et des bulletins comportant deux fiches, qui concernent, l’une l’enseignement de la langue, l’autre les émissions bretonnes, sont mises en circulation. Le cap des 3000 lettres est bientôt dépassé et la direction d’Emgleo Breiz décide de changer l’appel initial en pétition et des Comités de Patronage sont formés dans chaque département et sur le plan régional. En trois mois les 15.000 premières signatures sont enregistrées par le mouvement. Fin décembre le nombre de signatures dépasse 31.200. 
Fin février 1967 le nombre de signatures atteint 125.000 et finit par dépasser le chiffre de 150.000 au cours de l’été de la même année, ce qui montre un réel attrait des Bretons pour leur langue et leur culture. Selon Keravel que je cite :

« […] Ne serait-ce pas là en définitive, l’un des grands résultats – et l’un des grands mérites – de l’entreprise d’Emgleo Breiz : la prise de conscience de leur personnalité par un nombre de plus en plus considérable de Bretons et l’affirmation de leur volonté d’obtenir enfin justice pour leur langue ? » 

La pétition lancée exactement 20 ans plus tôt, en juin 1945, en faveur de l’enseignement du breton, par A. Keravel et le mouvement Ar Falz renaissant n’avait obtenu que 3500 signatures. Même si l’objet de la pétition est un peu différent en 1965, on mesure le chemin parcouru, en deux décennies, vers la réhabilitation de la langue maternelle des bretonnants qui retrouvent petit à petit la fierté de leur culture. En cela, l’action inlassable d’A. Keravel au sein des mouvements Ar Falz et Emgleo Breiz a été déterminante. C’est en vain, cependant, que forts du résultat obtenu, les militants culturels demandent aux autorités de satisfaire leurs revendications. 


A. Keravel et le service de presse et d’information d’Emgleo Breiz :

L’action sur l’opinion bretonne passe par la presse et par la radio. Des communiqués paraissent chaque semaine, dans les journaux quotidiens ou hebdomadaires régionaux, une douzaine au total. Cette note d’information paraît en français et parfois en breton. A ce sujet, voici ce que dit A. Keravel, pour la période 1963 – 1983 :

« Emgleo Breiz a diffusé en vingt ans plus de 800 communiqués de presse en français, avec, assez souvent, une version en breton, sur l’actualité bretonne : revendications, démarches, éditions, commentaires, etc…Ces textes, reproduits par une partie de la presse de Bretagne, ont largement contribué, de l’avis de beaucoup, à l’information de l’opinion au plan culturel et à la prise de conscience régionale. » 

Si la plupart de ces communiqués sont l’œuvre d’A. Keravel, il signe également des articles, en breton ou en français, dans la plupart des numéros de la revue mensuelle du CELIB : “La Vie Bretonne” (Buhez Breiz), dans le but de donner toutes les explications nécessaires, sur l’action culturelle du moment du mouvement Emgleo Breiz. 
S’ajoutant à ce qui précède, l’action vigoureuse engagée depuis quelques mois par les élus bretons et les organismes régionaux représentés au CELIB, a-t-elle servi à influencer le gouvernement ? Toujours est-il que, le 10 juillet 1970, parait le décret qui donne une valeur réelle à l’épreuve de langue régionale au baccalauréat, que tous les militants culturels de France attendent depuis 20 ans.
A. Keravel estime que « c’est là une victoire importante de l’action bretonne, – la porte est ouverte ! ( à l’enseignement du breton à l’école publique, alors que jusqu’à présent elle n’était qu’entr’ouverte.) » Il reçoit de plusieurs personnes des félicitations. Jules Gros aussi, qui connaît bien l’engagement de Keravel pour la langue bretonne lui écrit :

« Je suis aux anges de constater que votre action persévérante et convaincue a été couronnée de succès : la langue bretonne vaut maintenant autant que les langues étrangères pour l’obtention du baccalauréat. Après beaucoup d’efforts pénibles, courageusement et avec foi, au bout du compte, vous y êtes parvenu. Tous les Bretons patriotes vous doivent des remerciements et vous en sont reconnaissants. »

IMPLICATION DE “ KERAVEL – AR FALZ ” DANS LE MOUVEMENT LAÏQUE DES CULTURES REGIONALES. “M.L.C.R.”



Des relations suivies existent, depuis 1945, entre les associations laïques qui œuvrent au maintien et au développement des cultures régionales de France. Des délégations de chacune d’entre-elles sont invitées à participer aux stages annuels de culture populaire que l’une ou l’autre organise chaque année. Lors de ces rapprochements, des liens d’amitié se nouent entre ces militants culturels de régions diverses, enseignants pour la plupart. 
En 1958, A. Keravel félicite son ami Robert Lafont pour sa désignation à la Présidence de l’I.E.O. (Institut d’Etudes Occitanes) et lui rappelle son invitation à participer au stage d’été d’Ar Falz à Plogoff. Mais surtout, le passage suivant de sa lettre montre que la création du MLCR est à l’origine une idée d’A. Keravel :

« […] Je crois que pour ce qui est des subventions […] il serait intéressant que nous constituions une Association Nationale des “Mouvements de la Culture Populaire” ou quelque chose de ce genre. Cela nous permettrait d’obtenir des subventions sur le plan national. […] »

Deux mois plus tard, le 11 septembre 1958, est fondé le MLCR. C’est une fédération nationale d’associations laïques dont le but est le maintien et le développement des cultures régionales de France. Le mouvement espère influencer les socialistes, pour qu’ils reprennent à leur compte la défense des cultures régionales et présentent des projets de loi en faveur des langues régionales. Les associations fondatrices sont : “Ar Falz – Mouvement de la Culture Populaire Bretonne” et “Section Pédagogique de l’Institut d’Etudes Occitanes”.
A. Keravel en est le secrétaire général pour la Bretagne et Robert Lafont (IEO) le Président en 1958 – 1959. Un 3ème poste de secrétaire est créé lorsque le Pays Basque rejoint le Mouvement.


“KERAVEL – AR FALZ” ET LE COMITE D’ACTION PROGRESSISTE POUR LA LANGUE BRETONNE – “G.A.L.V.”

Réunis le 2 mars 1969, les délégués du mouvement Ar Falz, de la Jeunesse Etudiante Bretonne et de l’Union Démocratique Bretonne, décident de coordonner leurs efforts au profit de l’action culturelle bretonne. Ils considèrent que sur le plan culturel, comme dans le domaine économique, politique et social, la Bretagne reste un pays sous-développé, une colonie, dont la langue, qui se voit refuser toute possibilité d’existence légale, se trouve exclue de fait de l’enseignement et ne se voit accorder qu’une place ridicule dans l’information radiotélévisée.
C’est pourquoi ils créent “GALV”, nom breton dont le sens est “APPEL” – « un appel à tous les Bretons à poursuivre le combat engagé en faveur de leur langue et un appel au monde pour qu’il entende leurs aspirations . »
A la tribune A. Keravel insiste sur le changement d’esprit et de méthode de GALV : 

« Ce premier congrès constitue un tournant décisif dans l’action pour la conquête de nos droits, pour la justice culturelle en notre pays, et, par delà, pour la désaliénation de la Bretagne et le progrès social. […] 

A la suite de ce congrès diverses localités organisent des meetings. Les militants affichent un peu partout en basse Bretagne le slogan : “HAG OR YEZ ?” ( ET NOTRE LANGUE ? ) ; Ils ouvrent également des cours de breton et assurent la plus grande diffusion au “Livre Blanc et Noir de la Langue Bretonne”, publié par GALV, ainsi qu’au manifeste ‘Galv’ adopté par le Congrès. Mille personnes participent à la manifestation de Galv de Carhaix, le 19 avril 1970. Ensuite, courant 1972, cinq marches locales réunissent un millier de participants. Bien entendu, la finalité de toutes ces actions est toujours d’attirer l’attention des pouvoirs publics et de la population sur les revendications culturelles bretonnes.


*
ARMAND KERAVEL : L’HOMME POLITIQUE

Toute sa vie A. Keravel a été un homme de gauche. De sensibilité communiste dans sa jeunesse, il évolue petit à petit vers le socialisme, dans les années 60 après la guerre d’Algérie. Parallèlement à son action pour la renaissance du mouvement Ar Falz, et avec l’intention probable d’accéder à une notoriété personnelle qui l’aiderait pour la propagande d’Ar Falz, il brigue une fonction élective ; il est alors instituteur public à Kerlouan, canton de Lesneven, à l’école du Trêz.


A LA RECHERCHE D’UN MANDAT ELECTIF

Assumant ses convictions politiques, il se présente comme tête de liste du Parti Communiste, aux élections cantonales du 23 septembre 1945. Il obtient 12 % des suffrages exprimés. L’Administration, en le désignant pour un poste de directeur d’école à Dirinon, ne lui permet pas de développer les projets de réunions politiques qu’il envisage pour l’avenir, dans certaines communes du canton.
Aux élections municipales de Dirinon, le 19 octobre 1947, il fait partie de la « Liste d’Union Républicaine et Résistante et de défense des Intérêts Communaux présentée par le Parti Communiste Français. » Mais, battu, il n’entre pas au Conseil Municipal.
Keravel ne brigue plus de fonction élective entre 1947 et 1977. Toutefois sa lutte pour la reconnaissance des droits culturels des Bretons devient politique à partir des années soixante. 


A. KERAVEL ET LA POLITIQUE GAULLISTE.

Sur le plan sociolinguistique, le fait nouveau que constitue l’arrêt de la transmission de la langue bretonne, remet en cause la philosophie du mouvement Ar Falz qui se basait sur le respect des acquis de l’enfant et de son environnement socioculturel, à son arrivée à l’école. En conséquence, la direction d’Ar Falz décide d’abandonner la réserve de mise depuis la renaissance du mouvement après la guerre. 
Dès lors, le mouvement donne une orientation nouvelle globale à sa lutte, l’action culturelle seule ayant échoué, et essaie de former un front commun des organisations politiques, syndicales et culturelles progressistes. Ainsi le mouvement crée le Centre d’Information et d’Action Bretonne (C.I.A.B.), dont la finalité est de fournir à ces structures toute la documentation sur les questions régionales qui peut leur être utile. 
Le mouvement entend éclairer l’opinion bretonne sur la nature des difficultés de la Bretagne qui tiennent, entre autre, je cite : « à la politique gaulliste, qui, par ces dépenses somptuaires ou improductives, comme la “force de frappe”, rend impossible tout programme d’investissements utiles et féconds. »
En définitive, “A. Keravel – Ar Falz”, dont la faucille, – qui était encore bien rouge au début de la renaissance du mouvement, – vire au rose, appuie les idées progressistes, mais c’est aux socialistes de la gauche traditionnelle qu’il fait confiance pour rechercher une union de la gauche. Le souhait des membres des organisations du MLCR de voir la gauche arriver au pouvoir échoue en 1967 ; il faut attendre 14 années supplémentaires et la victoire de F. Mitterrand en 1981, pour espérer qu’un statut pour les langues régionales soit voté.


2ème PARTIE (suite)

- B -

- Armand Keravel -

Elargissement de son
action militante au cours
des décennies 70, 80, 90

dans la Lutte pour :


UN STATUT
des Langues et Cultures de France

et

sur le plan international :

la Défense des 

Droits des Peuples Minoritaires



“KERAVEL – AR FALZ” : LA DOULOUREUSE SEPARATION

Dans les années 1968-70 il n’est pas envisageable pour un militant d’Ar Falz d’oser se porter candidat au poste de secrétaire général, tellement la stature de celui qui le détient est impressionnante. A. Keravel est respecté et même considéré comme un père spirituel par certains à qui il a parfois enseigné la langue et la matière bretonne. Mais son aura pâlit, auprès des militants, à mesure que se développent ses activités dans d’autres mouvements culturels.
A cette époque « l’Union Démocratique Bretonne, mouvement politique de gauche qui désire faire d’Ar Falz sa vitrine culturelle », incite ses membres à y adhérer. Leur présence dans les assemblées générales aboutit à l’élection d’une nouvelle équipe qui infléchit l’orientation politique du Mouvement et provoque une "guerre de succession", des Modernes contre les Anciens. 
Quelques jeunes militants d’Ar Falz, membres de l’U.D.B., dont Erwan Person et Per Honoré sont remarqués par la direction du Mouvement. En octobre 1965, pour se décharger un peu de ses multiples tâches, A. Keravel confie à Per Honoré la direction de la publication de “Skol-Vreiz – l’Ecole Bretonne”. D’autres tâches lui incombent bientôt : il remplace Keravel, qui part en retraite, au poste d’enseignant délégué à l’Enseignement Régional. Voici ce qu’il écrivait en 2003 : 

« […] En partenariat avec A. Keravel, je fus de plus en plus engagé dans la recherche d’une action commune avec les autres organisations culturelles de gauche. Parallèlement, au nom d’Ar Falz, A. Keravel assumait le secrétariat d’Emgleo Breiz. Mais cette organisation n’était pas sans défauts. D’une part, A. Keravel, en dépit de son énergie, ne pouvait faire face à toutes ses tâches et, privilégiant Emgleo Breiz, était contraint de délaisser Ar Falz, dont la revue finit par cesser de paraître.
D’autre part, l’adhésion d’Ar Falz à Emgleo Breiz entretenait et perpétuait l’ambiguïté d’un Mouvement Breton, An Emsav, partagé, non pas selon des critères politiques, mais selon l’orthographe dans laquelle chaque formation exposait en breton ses buts et relatait ses activités. Peu importaient dès lors les objectifs des uns et des autres : qu’ils soient laïques ou d’obédience confessionnelle, progressistes ou conservateurs, régionalistes ou nationalistes, s'ils exprimaient leurs idées dans l’orthographe dite “skolveurieg”, leur place était au sein d’Emgleo Breiz (sans H) ; s’ ils défendaient leurs objectifs dans l’orthographe dite “peurunvan”, ils se devaient de rejoindre le Kuzul ar Brezhoneg (ZH obligatoire). Cette guerre civile orthographique s’est poursuivie pendant des années, et tous les anciens du Mouvement, moi comme les autres, y avons participé […] »

Ainsi, pour la plupart des militants, il existe alors une confusion "Ar Falz – Emgleo Breiz" en la personne d’Armand Keravel. Ils aspirent à une clarification idéologique. 
Au cours de l’Assemblée Générale de Lanmeur, le 17 juillet 1973, Per Honoré est élu au poste de Secrétaire Général d’Ar Falz.
A. Keravel est d’autant plus mortifié d’être évincé que c’est celui à qui il a donné sa confiance qui le remplace. On peut dire, à la décharge de ces jeunes d’Ar Falz, qu’il leur a fallu s’émanciper du père. 

La question de l’orthographe du breton : sur l’initiative d’Ar Falz, dans le but d’aboutir à une orthographe unifiée de la langue bretonne, 22 réunions se sont tenues à Carhaix entre le 24 avril 1971 et le 22 mai 1976. A. Keravel y a participé, de la première à la vingtième le 18 janvier 1975. Ensuite, en désaccord total avec l’adoption par ses collègues d’Ar Falz du "C’H" et surtout du "ZH", il ne se présente pas aux dernières séances de travail, comprenant que les discussions n’aboutiraient pas à un accord.

Lors de la réunion du 12 avril 1975, la direction d’Ar Falz, adopte la nouvelle graphie mise au point par l’un d’entre – eux. (Fañch Morvannou) Cette 3ème graphie, appelée "Etrerannyezhel" (Interdialectale) ou encore "Morvannoueg", est depuis lors utilisée par les deux revues du Mouvement : Ar Falz et Skol-Vreizh.
Lors de la parution du livre "Le breton sans peine" d’Assimil, édité dans la nouvelle orthographe, F. Morvannou, l’auteur, expédie un exemplaire dédicacé à Keravel qui le lui renvoie par retour de courrier, lui confirmant ainsi sa désapprobation quant à la graphie interdialectale. 
En fait, A. Keravel, considéré comme un homme autoritaire et plutôt rigide par certains militants, reste fidèle à ses principes et ne veut composer, ni sur la graphie, ni sur la nouvelle ligne suivie par Ar Falz. L’inflexion donnée à l’orientation d’Ar Falz ne lui convient pas. Avec un groupe de militants il fait paraître dans Ouest-France, une mise au point dont voici quelques extraits : 

« […] La déclaration sur « les orientations du Mouvement », du fait de l’esprit nationaliste qui l’inspire, aura surtout pour effet de couper ce mouvement de la grande masse des Enseignants et des forces populaires. […] Parce qu’ils jugent l’orientation actuelle d’Ar Falz néfaste au développement de l’action pour la sauvegarde de l’enseignement du breton et de la culture bretonne, les signataires de la présente mise au point sont conduits à s’interroger sur leur place dans un mouvement pour lequel plusieurs d’entre eux se sont pourtant dépensés sans compter durant de nombreuses années et qu’ils voient dévier de la ligne d’union qu’à la suite de Yann Sohier ils avaient contribué à lui donner jusqu’à ces dernières années. » 
Quelque temps plus tard, comme les Modernes maintiennent la politique définie en Assemblée Générale par le Mouvement, les dissidents se retrouvent de fait exclus d’Ar Falz. C’est vraiment une éviction d’Ar Falz que subit A. Keravel ; il faisait partie des pionniers de 1933. Selon André Le Mercier « Ce fut pour lui un déchirement. Il fut, avant la guerre, l’un des premiers amis de Sohier, avec Kerlann. Et le voilà contraint d’abandonner l’association à la tête de laquelle il fut si longtemps. » 

Par la suite, dans le dernier tiers de son existence, c’est principalement au sein d’Emgleo Breiz. que Keravel cherche à promouvoir les valeurs culturelles bretonnes. Pour ce qui est de l’enseignement, il milite afin qu’un véritable statut de la langue bretonne (et des autres langues régionales) soit adopté. En attendant ce jour, il lutte pour élargir l’espace du breton à l’école, dans l’information et dans la vie publique. Pour la radio et la télévision, il réclame des temps d’antennes raisonnables, des créneaux horaires compatibles avec les possibilités de la majorité des auditeurs ou téléspectateurs de suivre les émissions. Son action s’exerce aussi pour qu’une place plus importante soit donnée à la langue bretonne dans la presse écrite. Enfin, dans la vie publique, il agit pour une possibilité de l’emploi de la langue bretonne dans l’Administration publique et la réalisation d’une signalisation bilingue breton-français, sur les édifices publics, dans les moyens de transport publics et sur l’ensemble du réseau routier.


Enseignement du breton : lutte pour l’amélioration des acquis.

Sous la pression des militants culturels durant 20 années, les responsables du ministère de l’Education sont contraints, en 1971, d’accorder quelque valeur aux langues régionales, à l’examen du baccalauréat notamment. Ils ne tardent pas cependant à contrecarrer leur enseignement. Ils s’arrangent pour décourager les professeurs en ne les payant pas pour ces leçons de langue régionale. 
En conséquence, en 1972, les mouvements culturels bretons, oubliant pour un jour les polémiques fratricides, se mettent d’accord pour participer à un grand rassemblement qui a lieu à Pontivy le 26 novembre 1972. Ils manifestent pour montrer clairement que le peuple breton exige la reconnaissance de ses droits culturels. Ainsi les militants d’Emgleo Breiz, de Kuzul Ar Brezhoneg et de Skol An Emzav réunissent ce jour-là plus de 2000 personnes qui défilent en brandissant drapeaux et écriteaux et en criant : « Brezoneg e Breiz ! Brezoneg er Skoliou ! Brezoneg en tele ! Gwiriou ar Vretoned ! ( La langue bretonne en Bretagne ! La langue bretonne dans les écoles ! La langue bretonne à la télé ! Les Droits des Bretons !) »
C’est la première fois qu’une manifestation pour la langue et les droits culturels des Bretons réuni autant de monde. Jusqu’à présent c’était seulement par centaines que l’on évaluait le nombre des participants. Keravel en est fort satisfait : 

« Qui aurait pu penser, il n’y a pas encore 4 ou 5 ans que l’on verrait un tel miracle ? […] Et chose capitale : une grande partie, la majorité de ceux qui sont venus à Pontivy sont des jeunes gens et des jeunes filles […] »

Toutes ces manifestations, ce fort courant d’opinion est enfin perçu par le gouvernement qui accorde une Charte Culturelle pour la Bretagne, signée en février 1978 et prévue pour 5 ans.


Rôle des média dans l’action culturelle d’A. Keravel 

La plus connue des émissions de radio bretonnes dans les décennies 60 et 70 est incontestablement « Amañ, Emgleo Breiz ! » Elle est hebdomadaire et diffusée le samedi et le dimanche. A. Keravel en est l’animateur ; D’autre part, une émission radiophonique : « Komzou Dieub » (Libres Propos), est diffusée chaque mardi. A. Keravel y développe, en breton, les sujets les plus divers concernant la matière bretonne, les langues régionales, les pays celtiques, etc… Ses « Pennadou Kaoz » (Causeries) sont rassemblées ensuite dans une publication éditée par Emgleo Breiz tous les 6 mois. Sur Radio Brest est diffusée une émission quotidienne en langue bretonne, qu’A. Keravel anime aussi.
En ce qui concerne la télévision, après huit ans de lutte, la 1ère émission de télévision en breton voit le jour le 7 janvier 1971. Les premiers animateurs en sont : Charles et Chanig Le Gall, Pierre Helias et Fañch Broudic.
Dans un article intitulé : « Brezoneg war ar skinwel ! » ( Du breton à la télévision ! ), A. Keravel, rappelle tous les obstacles contournés, les rencontres avec les responsables de l’ORTF, avec le Ministre de l’Information, les actions auprès des députés bretons pour qu’ils fassent pression sur ces décideurs et sur le gouvernement. Selon A. Keravel :

« […] Nous n’avons eu en vérité qu’une petite partie de ce que nous demandons et le combat n’est pas terminé pour que nous obtenions ce qui nous est dû, ainsi qu’à notre Langue (sic), dans notre propre pays. Nous ne relâcherons pas la pression cependant, et nous parviendront à obtenir de nouvelles améliorations, en attendant que les choses changent vraiment en ce qui concerne les « Régions », et que ce soit à nous-mêmes, Bretons, de diriger les affaires de la Bretagne – parmi lesquelles le problème de la Radio et de la Télévision, – et non pas toujours devoir supporter pour tout d’être soumis à la bonne volonté ou à la mauvaise volonté des dirigeants de Paris !
Per Derug (Emis sur Rennes-Bretagne le 4 janvier 1971.)

On peut remarquer, dans ce dernier paragraphe, qu’A. Keravel utilise les termes « notre Langue », « notre pays [la Bretagne] », « que ce soit à nous-mêmes, Bretons, de diriger les affaires de la Bretagne », « devoir supporter d’être soumis à la bonne volonté ou à la mauvaise volonté des dirigeants de Paris ! » Il s’exprime au nom de tous les Bretons et pas seulement des progressistes, place leur ‘Langue’ sur un piédestal. Il souhaite qu’ils dirigent leurs propres affaires, sans être soumis au bon vouloir des dirigeants parisiens. Voilà un discours teinté de nationalisme. Fañch Morvannou, au cours d'un entretien, me disait que « Keravel, au fond, c’était un "crypto-nationaliste". » C’est aussi l’avis exprimé par Yves Le Berre que j’ai interrogé à ce sujet le 8 avril 2004 : 
L’idée qu’A. Keravel était « crypto-nationaliste » n’est cependant pas partagée par tout le monde : voici ce qu’en pense Jean-Pierre Thomin, actuel maire de Landerneau qui a collaboré avec A. Keravel pendant des années, au Parti Socialiste du Finistère et au sein d’Emgleo Breiz :

« Crypto-nationaliste Armand Kéravel ? : non, pas du tout. Alors, je ne suis pas du tout d’accord ! Il n’aurait pas adhéré au P.S. Parce qu’il n’a pas adhéré au P. S. par opportunisme, mais à une époque, 1969-1970, où le P.S. ce n’était rien du tout ! A la Fédération du Finistère il n’y avait qu’un petit noyau de militants, il n’y avait ni élus ni responsables… Keravel, homme de gauche pensait que le P.S. serait cependant le parti le plus à même de mieux rassembler les forces de gauche. Alors, il était foncièrement attaché à la Bretagne, à la langue bretonne, à la décentralisation, à l’autonomie peut-être, oui, mais à une autonomie conçue pour donner du pouvoir décentralisé, du pouvoir démocratique à la Bretagne. Parce qu’on est dans un pays bizarre, une démocratie paraît-il, dans laquelle l’essentiel du pouvoir est entre les mains de hauts fonctionnaires qui ne sont pas élus par le peuple. Il était foncièrement contre cela, mais nationaliste, non, il ne l’était pas, même pas crypto-nationaliste ! Au contraire, avec l’expérience de la guerre, les dérives nationalistes et leurs conséquences, je pense qu’il avait le nationalisme en horreur. »


A mon avis, le régionaliste qu’était A. Keravel désirait pour la Bretagne un pouvoir décentralisé, une certaine autonomie, qui permettent aux Bretons de décider eux-mêmes pour les affaires spécifiques à la Bretagne et en premier lieu les affaires culturelles dont l’enseignement facultatif de la langue, sans rupture avec la France.

En définitive, malgré les trop faibles temps d’antenne accordés aux émissions en breton quand ce n’est pas leur suppression, que Keravel et Emgleo Breiz ne cessent de dénoncer dans les années 70 et 80, les média jouent un rôle très important pour la réhabilitation de la langue et de la culture bretonnes. La radio surtout, grâce à laquelle la langue bretonne est entendue partout. Selon Jean-Pierre Thomin :

« La PAROLE, c’est A. Keravel. Celui qui tient le discours public de défense de la langue bretonne et qui n’est pas suspect, parce qu’il a été Résistant pendant la guerre, c’est clair, c’est A. Keravel ! Il faut dire que sans lui – et je crois que c’est là un point sur lequel il faut insister – le combat pour la langue bretonne aurait sans doute cessé d’avoir une expression publique et aurait peut-être disparu. »

Les 40 années d’émissions radio « Amañ Emgleo Breiz », parmi d’autres facteurs, ont contribué à influencer de façon positive les bretonnants qui ont fini par changer d’opinion sur leur langue. L’action développée par A. Keravel à travers les média est capitale ; elle a été profitable à l’ensemble du mouvement breton, y compris au camp adverse. 


A. Keravel en soutien de l’Union de la Gauche

Pour nombre de militants bretons progressistes, au cours de la décennie 70, la donnée politique fondamentale est l’Union de la Gauche et la mise en œuvre du Programme Commun. En conséquence, Keravel s’implique dans la Commission culturelle de la Fédération du Parti Socialiste du Finistère. Il devient le secrétaire de cette Commission. A ce poste il aide à la préparation de la proposition de loi Le Pensec, Bayou, Alduy, déposée en mai 1974 à l’Assemblée Nationale, qui se définit elle-même comme constituant un véritable statut destiné à fixer la place des langues et cultures de France dans l’Enseignement, L’Education permanente, les Affaires culturelles, les programmes de la Radio et de la Télévision.
En mars 1977, A. Keravel fait partie des 43 personnes, choisies par Francis Le Blé futur Maire de Brest, qui se présentent sur la liste de l’Union de la Gauche, aux élections municipales à Brest. Cette liste remporte la victoire. 


Action d’A. Keravel au cours de son mandat de conseiller municipal de Brest de mars 1977 à mars 1983

A. Keravel devient le Conseiller délégué à la promotion de la culture bretonne dans la vie communale. Dans une note rédigée en fin de mandat, il résume « l’action de la municipalité pour la promotion de la culture bretonne » depuis son élection : 

« Par toute une série de décisions et en de multiples occasions, la Municipalité de Brest a montré, depuis 6 ans, tout l’intérêt qu’elle porte au renouveau culturel breton. Quelques rappels à cet égard :
A plusieurs reprises, le Conseil municipal a adopté des résolutions très nettes en faveur de l’enseignement de la langue et de la culture bretonnes, de la licence de breton, comme une plus large place aux émissions en breton de radio et télévision, pour la création d’une Région de Bretagne conforme à la réalité historique, aux intérêts et à la volonté des Bretons.
Notre journal d’informations municipales réserve une place régulière, depuis sa fondation, à des chroniques en langue bretonne.
Notre équipe municipale a permis, par l’octroi des moyens nécessaires, la création du Centre Breton d’Art Populaire, qui poursuit une très importante et très fructueuse mission d’action musicale, artistique et intellectuelle, notamment dans la jeunesse. […] »

C’est à la demande d'A. Keravel que Brest est la première ville bretonne à mettre sur pied une signalisation bilingue breton-français des bâtiments publics. Cette réalisation lui tient particulièrement à cœur. C’est ainsi que des panneaux bilingues ont été installés sur les immeubles administrés par la ville : Mairie… Ecole des Beaux-ArtsBibliothèque… Musée… Auberge de Jeunesse… Port de Plaisance… Centre d’Art Populaire… Maison pour Tous… 

En définitive, le passage d’A. Keravel à la Mairie de Brest est marqué, ici aussi, par son action constante pour la promotion de la langue et de la culture bretonnes. 


A Keravel et la signalisation routière bilingue :

Au cours de la décennie 70 plusieurs municipalités projettent de réaliser dans leur commune une signalisation routière bilingue français-breton. Leur demande d’autorisation, se heurte à des résistances administratives. 
Les réponses négatives d’administrations publiques font réagir le mouvement culturel « Skol an Emsav » qui entend faire respecter la langue bretonne dans la vie publique. Au début des années 80 ses militants entreprennent une campagne de ‘rebretonnisation’ des panneaux routiers . En 1984 « Stourm ar Brezhoneg » (Combat pour le breton), dès sa création, durcit l’action en procédant à un barbouillage systématique des panneaux routiers dont les noms de commune sont écrit en français, notamment dans le Nord Finistère.
En 1985, la hache de guerre est enterrée, les Conseils départementaux bretons et le Conseil régional ayant décidé de prendre en charge le coût supplémentaire des panneaux bilingues.
La Commission de Toponymie de la section ‘Langues et Linguistique’ de l’Institut Culturel de Bretagne, mise sur pied à partir de 1986 les aide dans cette démarche en s’efforçant de répondre à toute demande de renseignements.Emgleo Breiz est représentée par 3 personnes au sein de la Commission : A. Keravel, André Le Mercier et Charles Le Gall. Ils essaient d’imposer la graphie Universitaire pour les noms de communes du Finistère, en vain !
En définitive cette dernière opposition à la graphie ‘ZH’, de Keravel et d’Emgleo Breiz était déjà un combat d’arrière-garde. Selon J. P. Thomin, qui a été président de la Commission des finances du Conseil Culturel, que je cite : « la droite politique en Bretagne et le mouvement nationaliste breton ont conçu une sorte de pacte qui s’est scellé lors la mise en application de la Charte culturelle, à l’approche des élections législatives de 1978 : en gros, on vous donne un peu de pouvoir et de l’argent et vous nous foutez la paix. » Depuis que Per Denez et les nationalistes ont occupé les postes-clés de l’Institut Culturel de Bretagne leur influence dans l’Emzao est devenue prépondérante, au détriment de celle des militants d’Emgleo Breiz. Il est donc assez logique que la plupart des Maires, lorqu’ils ont eu à choisir entre deux graphies, aient retenu la graphie ‘ZH ’. 
La langue bretonne, si elle se parle de moins en moins devient de plus en plus visible et s’expose, partout en Bretagne, revêtue du « ZH ». Comme Diwan et les classes bilingues publiques et privées, dans leur grande majorité, instruisent les jeunes bretonnants dans cette graphie ‘ZH’, il n’y a aucune raison que ces derniers en changent dans l’avenir, d’autant plus que la plupart des publications en breton leur sont proposées dans cette graphie. A mon avis la recherche d’un accord pour une orthographe unique du breton comme dans les années 70 devient inutile : l’‘interdialectale’ et l’‘universitaire’ mourront avec leurs utilisateurs vieillissants, dont votre serviteur. La ‘guéguerre’ des graphies, née de la 2ème guerre mondiale, a duré plus de 50 ans et fait couler beaucoup d’encre. Le ‘ZH ’ en sort vainqueur. De fait, le breton devient une langue normée, une langue moderne au même titre que les grandes langues de culture que sont, parmi beaucoup d’autres, le français ou l’anglais.


A. Keravel dans son rôle de conseiller régional

A. Keravel représente la ville de Brest au Conseil Régional de Bretagne durant les six années de son mandat au Conseil Municipal. La période 1977-1983, au cours de laquelle est préparée puis appliquée la Charte culturelle, coïncide avec celle où A. Keravel est Conseiller Régional. Il est "An Aotrou Brezoneg" (le Monsieur de la Langue Bretonne) du Conseil Régional. Après la victoire des socialistes, en 1981, il croit à un avenir plus serein pour la langue et la culture bretonnes. Je le cite :

« Pour ma part, j'ai confiance que nous allons, dans la période qui va s'ouvrir avec le nouveau statut à l'étude, vers une bien meilleure place sur les ondes pour le breton et le gallo. De même que j'ai confiance, je le répète, dans un développement de l'enseignement de nos langues de Bretagne. […] »

Cette belle confiance dans le gouvernement socialiste, affichée par A. Keravel en 1982, va être balayée au cours des 3 années à venir. Ceci à cause des décisions qui seront prises au plus haut niveau de l'Etat, que Keravel dénonce, en 1985, comme un reniement de la promesse faite par F. Mitterrand de recommander au Parlement l'adoption d'une Loi définissant le Statut des Langues et Cultures de France. 


ACTION INTERNATIONALE D’A. KERAVEL :


I/ Au sein de l’ « Association Internationale de Défense des Langues et Cultures Menacées » - « A.I.D.L.C.M. »

En 1981, A. Keravel devient Co-Secrétaire pour la France de l’A.I.D.L.C.M. A ce titre il prépare une communication pour Emgleo Breiz intitulée : « L’Opération ‘Charte Culturelle’ ou comment les Bretons ont été bernés », pour le 8ème Congrès de l’A.I.D.L.C.M., un dossier d’une cinquantaine de pages.
Les décisions de la circulaire Savary, du 21 juin 1982, ne sont pas à la hauteur de l’espoir qu’A. Keravel nourrit, depuis l’arrivée des Socialistes au pouvoir en 1981. C’est ainsi que, fort déçu et à contre-cœur, il porte la revendication pour les droits culturels des peuples sans Etat au plan international. Au sein de l’A.I.D.L.C.M., il dénonce auprès des instances internationales la carence du Gouvernement français à ce sujet.


2/ A. Keravel et le « Comité International pour la Sauvegarde de la Langue Bretonne » - « C.I.S.L.B. »

Georges Lombard Président du CELIB eut l’idée de remettre à l’honneur, en 1972, l’Ordre de l’Hermine, la distinction créée par le Duc Jean IV de Montfort en 1381. Lors de la cérémonie annuelle de l’Hermine, des personnalités ayant servi la Bretagne et en particulier sa langue et sa culture sont honorés : le collier de l’Hermine leur est solennellement remis. Depuis 1972, 64 personnalités l’ont reçu. La cérémonie est organisée par l’Institut Culturel de Bretagne contrôlé par les nationalistes bretons. Quelques militants d’Emgleo Breiz ont reçu le collier de l’Hermine : Anna Vari Arzur, Charles et Chanig Le Gall, Naig Rozmor, Per Jakez Helias entre autres, qu’ils ont largement mérité. Au cours d’une conversation avec Fañch Broudic, je me suis déclaré surpris qu’A. Keravel n’aie pas reçu cette distinction, après un prêche de toute une vie pour la langue et la culture bretonnes. Il m’a répondu : « Il était trop connoté anti-nationaliste ! » 
Au cours du colloque qui a précédé la cérémonie de l’Hermine le 28 septembre 2002 à Lannion, l’un des récipiendaires, Henri Lécuyer, contre toute attente, a fait l’éloge d’Armand Keravel. Ce dernier lui a donné l’idée de créér le «Comité International pour le Sauvetage de la Langue Bretonne » lors d’un congrès à Brest de « Bretons de l’extérieur », en 1972. A. Keravel conscient que ses efforts pour la promotion de la langue bretonne n’impressionnaient pas beaucoup le Pouvoir jacobin lui a suggéré d’agir de l’extérieur de la France, une action internationale pouvant se révéler plus efficace.. Henri Lécuyer se décide à suivre le conseil d’A. Keravel en 1975 et crée le C.I.S.L.B. ; il est actuellement Président d’Honneur de l’Organisation des Bretons de l’Extérieur (O.B.E.). 


*

EPILOGUE


J’ai essayé de passer en revue ce que fut la vie d’Armand Keravel. Les actions qu’il a entreprises en faveur de la langue et de la culture bretonnes et des autres langues minoritaires sont tellement nombreuses et variées qu’il m’est impossible d’être exhaustif dans cet exposé. 
Dans les années 20 il commence à fréquenter les milieux bretonnants – dans sa famille d’abord puis à l’école primaire supérieure – et à se passionner pour le breton alors proscrit à l’école publique. C’est l’époque (1925) où le Ministre de Monzie exprimait officiellement le souhait – l’ordre – d’en finir avec le breton. Soixante dix ans plus tard il est enseigné à l’école, de la maternelle à l’université et tous les parents qui le souhaitent vraiment – toutes les écoles ne proposant pas de classe bilingue français-breton – peuvent transmettre à leurs enfants, ce passé qui les conditionne, qui nous conditionne. Ils le doivent à la volonté des militants culturels de toutes tendances, qui œuvrent pour cela depuis plus d’un siècle et résistent à l’acharnement de l’Etat jacobin dont la volonté d’éradication des langues et cultures régionales ne semble pas avoir disparu à ce jour. L’extrême affaiblissement de ces langues, après plus d’un siècle de ce traitement, fait que l’Etat peut concéder quelques ‘mesurettes’ devant la volonté de ré-appropriation montrée par les défenseurs de ces cultures régionales. 
Le desserrement de l’étreinte de l’Etat centralisateur et monolingue n’a pas été obtenu sans luttes. Dès la seconde partie du 19ème siècle, l’Eglise décide d’assurer la pérennité de la langue bretonne, convaincue qu’elle est des dangers que font courir à la foi des Bretons les idées nouvelles véhiculées par le français. A. Keravel, lui, est l’apôtre laïque au service de la langue bretonne dont l’enseignement est le sacerdoce. Sa foi est la ferme adhésion de son intelligence à ce qu’elle reconnaît comme essentiel : la pérennité de la langue bretonne et la reconnaissance des droits culturels des Bretons, alors que la motivation principale de l’Eglise est de perpétuer la foi chrétienne chez les bretonnants en utilisant le breton comme un outil.
Le mouvement progressiste Ar Falz, montre au début des années 30, vingt ans après Emile Masson, que la défense de la langue bretonne n’est pas exclusivement du ressort de l’Eglise, ni de celui des militants nationalistes de Gwalarn qui ne s’adressent qu’à une élite bretonne dans les années 20 et 30. Ces nationalistes défendent la langue bretonne pour justifier l’existence d’une nation bretonne et en faire la langue nationale d’un futur Etat qu’ils espèrent établir un jour.
Pour ‘Ar Falz – Keravel’ la défense de la langue et son enseignement ont pour finalité de rendre à l’ensemble du peuple bretonnant sa fierté – en effaçant son sentiment de honte – et d’assurer son émancipation sociale. Le mouvement et son secrétaire général mettent tout en œuvre, dans les conditions difficiles de l’après-guerre, pour relancer la défense de la langue bretonne et la faire entrer à l’école publique, dans la légalité. Keravel et ses amis multiplient les relations avec leurs confrères instituteurs pour les convaincre de l’intérêt de la connaissance du breton pour leurs élèves. Parallèlement, ils rencontrent les conseillers généraux dont ils obtiennent des vœux en faveur de la langue bretonne, les parlementaires bretons pour la préparation des propositions de loi concernant les langues régionales, les hauts fonctionnaires de l’Education Nationale et parfois le Ministre. Aucun auditoire ne semble impressionner A. Keravel, bien qu’il n’aie pas fait d’études, animé qu’il est par une foi inébranlable dans l’avenir de la langue bretonne. L’opposition d’A. Keravel et de l’Etat centralisateur c’est la lutte du pot de terre contre le pot de fer : la partie semble perdue d’avance. Mais grâce à sa persévérance, sa pugnacité, sa foi, il n’en sera pas ainsi. Il participe avec Ar Falz à l’élaboration des projets de loi concernant les langues régionales, entre 1945 et 1950. En bonne partie grâce à toutes ces actions, la Loi Deixonne est votée en 1951. Cependant cette autorisation d’enseigner est entourée de conditions si restrictives, renforcées par les décrets d’application, que peu de maîtres peuvent en tirer parti. Comprenant le danger la plupart des associations culturelles en faveur de la promotion du breton réagissent et créent Emgleo Breiz, sur l’initiative d’A. Keravel. Il en devient l’un des Secrétaires Généraux dès l’origine et le Président 40 années plus tard. Emgleo Breiz participe à la préparation des propositions de Loi, réalise de nombreuses éditions littéraires et scolaires et organise des dizaines de démarches de promotion du breton. Mais surtout, pendant cette période, la Fondation Culturelle Bretonne s’est consacrée à l’information de la population et plus de 1000 de ses communiqués sont diffusés par la presse et répercutés à la radio chaque semaine, par la voix d’A. Keravel. C’est lui qui tient le discours public de défense de la langue bretonne et comme il n’est pas suspect, compte tenu de son passé de Résistant, il est très apprécié par les bretonnants. Cela contribue au fait que ces derniers changent d’opinion sur leur langue en la voyant ainsi réhabilitée. L’idée d’un enseignement bilingue breton-français qui paraissait incongrue il n’y a pas si longtemps a fait un progrès considérable auprès des enseignants : elle est actuellement admise par tous. En conséquence, l’édition en langue bretonne devient de plus en plus florissante. Un grand nombre des lecteurs d’aujourd’hui doivent leur capacité à lire et écrire le breton aux militants culturels des années 30 à nos jours.
S’il ne rassemble pas tous les mouvements culturels, Emgleo Breiz sait les réunir lors d’actions importantes réussies : la grande Pétition populaire de 1967 où 150.000 signatures sont recueillies et diverses actions communes sont réalisées dans les années 70. De plus, A. Keravel, comme délégué d’Emgleo Breiz, participe de manière assidue à la vie des organisations nationales et internationales pour la sauvegarde des langues et cultures minorisées. Toutes ces actions, dont certaines ont en Bretagne un succès considérable, ne parviennent pas à changer positivement la politique linguistique unificatrice du gouvernement. 
Sa dernière campagne de militant ‘pour un statut des langues’ (E.L.Y.), le montre toujours aussi combatif : il aiguillonne les Maires lorsque les vœux proposés tardent à être adoptés par leurs Conseils Municipaux… si bien qu’en fin de campagne, en 1994, 633 communes de Bretagne se sont déclarées favorables à un statut officiel pour la langue et la culture bretonnes. 
Dans une longue lettre remerciant A. Keravel pour le plaisir qu’il lui procure à l’écoute de ses émissions de radio, un religieux, le frère Edouard Bail, conclut de la façon suivante :

« […] Si vous m’avez suivi jusqu’au bout, je vous félicite, Monsieur, de votre patience ; mais je pense que vous en avez l’habitude depuis le temps que vous luttez pour la sauvegarde des lambeaux de notre patrimoine. Courage, Monsieur ! Peut-être sera-ce un peu à cause de vous que l’on pourra un jour enfin chanter : 
« Si la Bretagne a été vaincue dans les grandes batailles
Sa langue est toujours aussi vivante
Son cœur ardent vibre encore dans sa poitrine
Tu es réveillée maintenant, ma Bretagne ! »
Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments reconnaissants. »

Aujourd’hui les sondages montrent que les Bretons, réveillés justement par A. Keravel et ses amis au cours des 70 dernières années, souhaitent à plus de 80 % l’enseignement de la langue bretonne, sur la base du volontariat, parce qu’ils ont retrouvé, grâce à ces militants, une identité collective positive et la fierté de leur culture. Comme Edouard Bail et moi-même, ils lui seront un jour reconnaissants pour l’œuvre culturelle qu’il a accomplie, convaincu qu’il était que la langue bretonne aurait encore de beaux jours devant elle et un rôle à jouer dans l’avenir. 

Yvon LE VEN
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