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Alternatives & Révolutions
25 septembre 2013

Dans Médiapart Dans le Finistère, «c'est

Dans Médiapart

 


Dans le Finistère, «c'est l'hécatombe»

 

dans l'agroalimentaire

 

PAR RACHIDA EL AZZOUZI ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 24 SEPTEMBRE 2013


De notre envoyée spéciale dans le Finistère


D'habitude, c'est elle qui harcèle ses enfants : « À quelle heure tu rentres ? Tu dînes à la maison ? » Mais depuis le 18 juillet, le rapport s'est inversé. C'est elle qui envoie désormais des SMS à sa cadette : « Ne m'attendez pas, je vais rentrer très tard. » Car à cette date, Bruxelles a pris de court la filière avicole bretonne en coupant le robinet des « restitutions », ces aides européennes accordées aux exportateurs de poulet congelé dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), qui permettaient de survivre face à la concurrence du « poulet javel » brésilien et américain, 30 à 50 % moins cher.
Déléguée CGT de l'abattoir Tilly-Sabco, fleuron de la petite commune finistérienne de Guerlesquin à vingt minutes de Morlaix, et autre géant du poulet congelé breton après le groupe Doux, Corinne Nicole, 46 ans, n'a plus une minute pour les siens. Quand elle ne sillonne pas, la nuit tombée, la campagne armoricaine pour ramasser dans son quarante-quatre tonnes des centaines de poulets vivants dans les fermes – son boulot, depuis qu'elle a perdu son épaule gauche à force de gestes répétitifs il y a deux ans –, cette ouvrière passée par tous les services de l'abattoir avant
de se reconvertir en interne, santé oblige, chauffeur- routier, passe son temps à gérer la crise sociale qui gronde.


Corinne Nicole, élue CGT, porte-parole des "Tilly" Cet été, elle a consacré ses trois semaines de vacances au dossier, pris seulement trois jours pour aller à la mer en famille et démissionné de son mandat de juge des prud'hommes « pour être à 100 % dans la lutte ». Depuis la rentrée et l'arrivée de l'automne, le « mis du », « le mois noir », dit-elle en breton, le calendrier s'est accéléré. Il faut courir de comités d'entreprise extraordinaires en manifestations à travers la région, à la rencontre des élus locaux, des ministres, pour les interpeller sur le drame qui s'annonce en Bretagne « si l'Europe ne revoit pas sa décision, si l'État ne fait rien ». Il faut aussi gérer le stress grandissant des collègues, des équipes de jour comme de nuit – 332 salariés et une centaine de précaires paniqués à l'idée de perdre leur emploi –, les rassurer en leur déroulant un avenir qu'elle-même sait incertain sinon condamné par l'arrêt des restitutions et l'effondrement du marché.


Ce vendredi 20 septembre, Corinne Nicole a dormi à peine deux heures, tout juste croisé au petit-déjeuner son mari « plutôt compréhensif ». Charpentier de marine, il construit des bateaux de luxe en bois sur le chantier de Guip dans le port de Brest pour les patrons du Cac 40 – « un autre monde » – et gagne un peu plus que le Smic. La journée s'annonce longue, très longue. Elle a prévu deux paquets de cigarettes pour tenir le coup et déjà avalé un litre de café. Elle doit d'abord passer à l'usine à Guerlesquin où les mesures de chômage partiel sont très mal vécues. Contrainte de réduire de 40 % sa production, l'entreprise, qui perd 400 000 euros par semaine depuis le coup d'arrêt de la commission européenne, ferme ses portes du 23 au 27 septembre.


 Les salariés seront la variable d'ajustement. Ils ne feront plus 35 heures mais 30 et doivent épuiser leur reliquat de congés payés avant que l'État prenne en charge le chômage partiel. La semaine suivante, ils travailleront trois jours par semaine en deux fois huit heures puis à partir du 7 octobre, quatre jours par semaine toujours en deux fois huit. Pour celles et ceux qui travaillent de nuit, soit 1 700 euros net de salaire mensuel en moyenne contre 1 300 euros pour un salarié de jour, le coup est rude. « C'est 300 à 400 euros de perte sur la fiche de salaire, ce qui est énorme, car les primes de panier, qui correspondent au travail de nuit, ne seront pas prises en compte. Quant à la centaine de précaires, intérimaires et CDD, ils ne seront pas reconduits et se retrouvent sur le carreau dès la fin du mois », explique la porte-parole des « Tilly » en pressant le pas.


Elle doit se rendre à Quimper, la préfecture du Finistère à une petite heure de Guerlesquin où elle a rendez-vous avec les camarades de la CGT et FO des entreprises avicoles et porcines Doux et Gad, toutes deux en redressement judiciaire, pour lancer un énième cri de détresse. Ils espéraient un face-à-face avec François Hollande. Le chef de l'État doit inaugurer une usine de Vincent Bolloré, spécialisée dans la fabrication de batteries
pour voitures électriques à Ergué-Gabéric près de Quimper, « une usine qui va bien ». Mais ils ont été déboutés et devront se contenter de Valérie Metrich- Hecquet, « conseillère du président sur l'agriculture, développement rural et pêche ». « Une techno », peste Corinne.
L'inquiétude a gagné les salariés de Tilly-Sabco.La syndicaliste, qui ne digère toujours pas que la filière avicole ait été « snobée » le 12 septembre dernier, pour raisons de sécurité, par Jean-Marc Ayrault lors du Space, ce salon de l'agriculture destiné aux pros de l'agrobusiness où chefs d'entreprise, salariés et élus avaient formé une chaîne humaine de 3 000 personnes, est scandalisée de voir le président socialiste pour lequel elle a voté « se précipiter au chevet du copain de Sarko, du capitalisme du Fouquet's et célébrer uniquement les entreprises en bonne santé » : « Pendant la campagne présidentielle, il s'est fait fort de visiter les usines en difficulté pour que nous, ouvriers, votions pour lui. Mais aujourd'hui, il n'a plus besoin de nous. »


Elle dit ça en fumant de colère sur sa cigarette et en exhibant un article de Ouest France qui a suscité des rires jaunes dans les ateliers. Le récit de la réception organisée le 23 août dernier à l'Élysée par François Hollande autour d'un Condrieu 2009 et d'un Pommard premier cru en l'honneur d'une quinzaine de chefs d’entreprise bretons, « que des usines qui vont bien, la Bretagne des Bisounours, sans les secteurs en crise », constate encore Corinne, consternée.



«Qui voudra de nous ? La moyenne d'âge, c'est 50 ans et on est tous cassés par les TMS» Elle aurait aimé que son patron, Daniel Sauvaget, soit convié à la table de la présidence, ainsi que ceux à la tête d'usines « dans une merde noire » : Gad, Doux, Amice Socquet, Boutet-Nicolas, Marine Harvest... Cette dernière qui transforme saumons et truites sur trois sites finistériens (Poullaouen, Landivisiau et Châteaulin), ferme en 2014 son site de Poullaouen et celui de Châteaugiron en Ille-et-Vilaine, soit plus de 400 emplois supprimés. « L'heure est grave en Bretagne », répète Corinne en prenant à chaque fois son air le plus sérieux derrière ses lunettes de presbyte.


Longtemps épargnée par les restructurations industrielles, la région, berceau de l'agroalimentaire intensif français, pique du nez. Il y a eu l'automobile avec le plan social de PSA Rennes en 2012, laissant sur le bord de la route 1 400 salariés et des dizaines de sous-traitants. Il y a maintenant l'agrobusiness qui dérouille comme jamais depuis trente ans. En cinq ans, le taux de chômage a doublé pour atteindre 9,1 % à la fin du 1er trimestre 2013.
Un avenir compromis aussi pour ces employés de Samsic, entreprise de nettoyage prestataire de Tilly  Œufs, porc, poulet... Ces filières, qui représentent 40 % de l’activité de la Bretagne et autant d'emplois, agonisent, rattrapées par la réalité impitoyable du marché mondial. Elles pourraient tomber comme des châteaux de cartes, payant cash la fin du « miracle agricole breton », ce modèle très décrié, pas que par les écologistes, basé exclusivement sur l'agriculture intensive qui s’est développée dans les années 1960 grâce au soutien de la politique agricole commune (PAC) et sous l’impulsion de l’État, en associant production de masse de porcs, de volailles, et usines performantes de transformation animale où le Smic et les TMS (troubles musculo-squelettiques) sont la norme. Dans le Finistère, le ciel économique est particulièrement bas, plongé dans une épaisse brume.


« C'est l'hécatombe. Dans un rayon d'à peine cinquante kilomètres, plus de 4 000 emplois directs sont menacés au même moment et le double d'emplois indirects. Toute la chaîne trinque, des éleveurs aux ouvriers en passant par les transporteurs, les artisans, les commerçants », décrit Corinne Nicole, en filant à travers les monts d'Arrée au volant de sa voiture pour être à l'heure à la préfecture. Elle écarquille son regard bleu : « Qu'est-ce qu'on va devenir, qui voudra de nous ? La moyenne d'âge dans nos abattoirs, c'est 50 ans, on est tous cassés par les TMS et de toute façon, il n'y a pas de boulot ! Ce n'est pas le tourisme breton qui va nous faire vivre. Moi-même, pour retrouver un poste, ce sera la croix et la bannière. À l'usine, on reçoit dix CV de chauffeur-routier par jour. »


Comme Doux, Tilly-Sabco exporte l'essentiel de ses poulets congelés vers le Moyen-Orient. « Dans ma circonscription, 10 % de la population active vit de l'agriculture et de l'agroalimentaire. C'est l'angoisse absolue. Il ne manquerait plus que les légumes flanchent et nous sommes morts », surenchérit Gwenegan Bui, le député socialiste de la quatrième circonscription du Finistère, l'une des plus touchées avec, à l'ouest, « le séisme Gad » et, à l'est, « le cataclysme Tilly-Sabco ». Cette dernière entreprise, si elle venait à déposer le bilan, serait un drame social, humain mais aussi financier pour le petit village de Guerlesquin sorti du granit. Il se retrouverait sans station d’épuration car il est branché à celle de l’usine, une décision de Jacques Tilly, le patriarche-fondateur de l’abattoir, sorte de « Ceaucescu du Tregor », ancré à droite, qui a dirigé la commune pendant près d’un quart de siècle de 1965 à 1989.


« Non seulement vous perdez des habitants, de l’emploi, donc des recettes fiscales, mais en plus, vous devez créer une station d’épuration à trois millions d’euros », imagine déjà Gwenegan Bui. Il contemple impuissant « le massacre dans l’agroalimentaire » avec ses homologues socialistes des sixième et cinquième circonscriptions, Richard Ferrand et Chantal Guittet ; voit la contestation paysanne se durcir mois après mois, rejointe par celles des ouvriers de l'agroalimentaire, avec des actions coups de poing et des jacqueries, comme le portique écotaxe, arraché et incendié début août, par 450 manifestants à Guiclan dans le fief du cochon breton, pour s'insurger contre l'application de la future taxe sur les poids lourds issue du Grenelle de l'environnement, vécue comme un nouveau prélèvement en pleine crise.


«Qui voudra de nous à 50 ans ?»Devant les tribunaux de commerce, c'est l'embouteillage de dossiers, tous plus compliqués. Gad, le spécialiste de l'abattage, la découpe et la transformation de viande de porc, confronté à plus de 40 millions d'euros de pertes, victime de la concurrence des abatteurs allemands qui abusent du dumping social, est en sursis depuis la fin février. Son actionnaire majoritaire, le groupe coopératif Cecab, l'un des poids lourds de l'agroalimentaire français, veut sacrifier le site historique de Lampaul-Guimiliau, dans le Léon, et son atelier de charcuterie de Saint-Nazaire, soit 900 emplois en jeu, pour se recentrer sur le second abattoir du groupe à Josselin dans le Morbihan (plus de 600 salariés), où 343 emplois pourraient être créés.


« Une aberration », dénoncent les syndicats, alors que deux millions de porcs se trouvent dans un rayon de 30 kilomètres de l'abattoir finistérien. Mais, en l'absence de repreneur déclaré, l'avenir de ce site, qui sera fixé d'ici le 9 octobre, paraît très compromis. « Il faut déclencher un droit d’alerte pour la Bretagne. Il manque aujourd’hui une étincelle pour que tout s’embrase », s’alarme Hervé Le Bras, délégué syndical FO chez Gad, dans les colonnes de la presse locale qui se fait chaque jour l'écho de la dégringolade de la filière.


«Je fais ce métier pénible pour nourrir ma famille, je gagne à peine le Smic» Doux, le volailler, le premier à avoir flanché en juin 2012, date à laquelle il a été placé en redressement judiciaire, s'est recentré sur l'export et la transformation (Père Dodu) après s'être allégé à l'automne 2012 de son pôle frais, liquidé au prix de la suppression d'un millier d'emplois sur 3 400, essentiellement un personnel féminin très peu formé. Résultat : un an plus tard, seules 20 personnes ont retrouvé un CDI ! Il doit présenter ce mardi 24 septembre son plan de continuation devant le tribunal de commerce de Quimper. La semaine dernière, le groupe saoudien Almunajem, l'un de ses premiers clients, a fait savoir qu'il pourrait acquérir 25 % du capital du groupe breton. La fin du cauchemar ? Les syndicats restent prudents.


On les retrouve ce vendredi 20 septembre en fin d'après-midi dans un petit bar de Quimper, à l'écart des klaxons assourdissants des fourgons des artisans du bâtiment, qui défilent dans les rues pour dénoncer le matraquage fiscal, une TVA trop élevée et la concurrence des auto-entrepreneurs. La délégation Tilly-Doux-Gad est « lessivée » par les deux heures d'entretien en préfecture avec la conseillère agriculture de Hollande.
La délégation Tilly-Sabco-Doux-Gad n'a pas décroché d'entretien avec Hollande mais elle a rencontré sa conseillère agriculture  « On ne parle pas la même langue, nous, on parle avec nos tripes, eux, avec des grands mots que personne ne comprend. Ils sont vraiment trop technos, on dirait que leurs réponses ont été apprises par cœur et qu'ils les servent à tous en adaptant le vocabulaire selon le secteur en crise », lâche Corinne, la déléguée de Tilly, en se demandant « si tout ça sert à quelque chose et s'ils ne (nous) ont pas déjà abandonnés ». Elle ne carbure pas encore aux anxiolytiques comme lors du plan social de 2006 lorsque, dans la foulée de la grippe aviaire, l'usine s'était séparée de la moitié de son effectif. Elle espère « ne pas y retoucher » mais là, elle a un « coup de calgon » et les yeux mouillés.


Comme Nadine Hourmant, la déléguée centrale FO de Doux, elle a pleuré dans le bureau, déstabilisant la conseillère de Hollande. C'est Pascale, la déléguée CFDT de Tilly, qui a craqué la première. Elle s'est mise à égrener les potentielles répercussions désastreuses de la décision de l'Europe de couper les restitutions sur leurs familles smicardes, dont de nombreux couples employés dans les abattoirs à la ronde sinon le même, endettées par les crédits immobiliers et à la consommation, sans qualification, ni perspectives dans cette contrée rurale du bout du monde, avec « les enfants qui demandent si on va dormir sous les ponts ».


Tilly-Sabco, 20 septembre 2013 « Ils veulent quoi ? Que la Bretagne se vide de ses actifs ? Qu'elle soit une terre de résidences secondaires pour riches Parisiens ? » demande Corinne qui se force à acheter chez les petits commerçants de Scrignac, son village blotti dans le parc naturel régional d'Armorique, « même si c'est plus cher » pour que sa commune ne devienne pas une carte postale pour touristes à la recherche de « Breizh power » sur la route des enclos paroissiaux, et un désert sans boulangerie, ni pharmacie, ni tabac, ni médecin.


Nadine, 23 ans d'abattoir chez Doux, trois enfants, a donné à la conseillère sa lettre ouverte, écrite la veille, à François Hollande. Elle espère « une réponse avec des actes concrets, pas une réponse toute prête, de politesse ». Dans sa missive, elle insiste sur « toutes ces entreprises en danger qui font tourner l'économie d'une région, d'un pays, et permettent la rémunération des têtes pensantes déconnectées de la vraie vie qui ne pensent qu'à leur propre personne, mandats et indemnités ». Elle demande au président sa « position » – « Est-ce taxer encore plus la classe ouvrière, donner plus d'argent aux riches ? » – et l'invite à venir travailler sur le site de Châteaulin pour qu'il prenne « conscience des conditions de travail et de la vraie vie ».



Souvent, raconte Corinne, on les méprise, « les écolos du coin et d'autres » : « Vous faites un boulot de merde et un poulet de merde qui pollue la Bretagne. » Ça la rend « dingue » : « Qu'ils nous donnent du boulot, qu'ils trouvent un modèle viable si celui-ci est condamné et condamnable ! Je fais ce métier pénible pour nourrir ma famille, je gagne à peine le Smic, je sacrifie ma santé. » Bretonne d'origine, elle aime viscéralement son pays, ne veut pas en partir, voit bien les désastres de la surproduction, la pollution des eaux, les algues qui prolifèrent sur les plages...
« Mais ce n'est pas nous qui avons laissé faire les abus, béni aveuglément les puissants de l'agroalimentaire à coups de subventions, s'enflamme-t-elle. Comme je sais faire la différence entre un petit artisan étranglé par les taxes et un Bolloré, je fais la différence entre les gros industriels de l'agroalimentaire qui touchent des milliards d'aides, se font un maximum de pognon sans se soucier de l'écosystème pendant que leurs ouvriers triment au Smic et les petits éleveurs qui galèrent. Mais je suis aussi un maillon de la chaîne et je dois être solidaire de toute la filière aujourd'hui même si la solidarité n'a pas toujours fonctionné avec les syndicats agricoles ultralibéraux. »


«Ils disent qu'ils ont essayé la droite, la gauche, qu'ils peuvent bien essayer Marine Le Pen» Corinne Nicole a « peur » que la crise que traverse l'agroalimentaire profite au Front national, une crainte partagée par ses camarades de Doux et Gad ainsi que par de nombreux élus socialistes qui voient dans leurs permanences la désespérance sociale gagner l'électorat ouvrier et paysan. « Bertrand, Gaymard, Lemaire, maintenant, Le Foll. On les a tous alertés bien avant la crise et les dépôts de bilan. Aujourd'hui, la gauche dit nous écouter mais elle doit passer à l'action. Sans réponse de sa part et parce qu'on a vu ce que donnait la droite, c'est un boulevard qui s'ouvre pour le FN. Les idées et la façon de s'exprimer de Le Pen font qu'elle parle aux ouvriers», prévient Nadine, la déléguée FO de Doux qui voit monter la popularité du FN chez les licenciés comme les non-licenciés.


« Dans l'usine, témoigne à son tour, Corinne, la déléguée de Tilly, jamais on n'a autant assumé ouvertement de voter Le Pen. À la machine à café ou sur les postes de production, les collègues en parlent sans se cacher encore plus depuis que leur emploi est menacé. Ils disent qu'ils ont essayé la droite, la gauche, qu'ils n'ont rien fait pour sauver leur emploi, améliorer leur pouvoir d'achat et que, par conséquent, ils peuvent bien essayer Marine Le Pen. En plus, son discours anti-système, anti-Europe séduit car pour beaucoup, si nous en sommes là, c'est la faute de l'Europe, de l'euro qui nous bouffe. »
Tilly-Sabco, 20 septembre 2013 « Beaucoup ont voté Hollande à la présidentielle parce qu'ils ont le cœur à gauche mais ils se sentent aujourd'hui trahis, les précaires comme les CDI, poursuit la syndicaliste. Ils se lèvent à trois heures du matin et n'arrivent pas à payer leurs factures. Seul ou en couple, ils voient leurs impôts augmenter alors qu'ils gagnent tout juste le Smic, paient le crédit de la maison, l'assurance de la voiture quand ils n'en ont pas deux car ici, c'est indispensable. Ils dépassent de quelques euros le quotient familial, ce qui fait qu'ils n'ont pas d'aides sociales, ne peuvent pas se payer de mutuelle, soigner leurs enfants. Ça suffit pour qu'ils finissent le mois dans le rouge et penchent FN plus de colère que d'adhésion. »


Elle se demande d'ailleurs, « si en en parlant, elle ne participe pas à faire le lit de ce parti anti- démocratique comme les médias, la télé en particulier qui ne parle que d'insécurité, de fraudes à la Sécu, de terroristes, de kalachnikovs dans les banlieues ». Dans son sac, la une du Télégramme du jour, consacré justement au « plan d'attaque du FN en Bretagne » à quelques mois des municipales de 2014. En 2008, le parti extrémiste n'avait présenté qu'une liste dans la région, à Lorient mais sans décrocher de siège municipal. Cette fois, il devrait présenter des listes dans les quatre départements.
La une du Télégramme, vendredi 20 septembre  « Bien que son leader historique y ait vu le jour, le sol armoricain n'a jamais été un terreau favorable pour les Le Pen dont les thèmes de prédilection, immigration, délinquance, ont ici moins de résonance que dans la France d'en face. Mais les scrutins de 2012, présidentiel et législatif, ont marqué une première réelle percée. (…). La barre des 10 % n'est plus inaccessible en Bretagne », écrit le journaliste René Perez.


Corinne constate chaque jour un peu plus l'avancée du FN, y compris parmi les siens, à son grand désarroi, dans cette terre de tradition démocrate-chrétienne qui voit rose depuis les régionales de 2004. Dans ce département à la campagne parsemée de croix et de chapelles, où la foi religieuse a laissé ses marques, « le débat autour du mariage pour tous a aussi fini de radicaliser certains esprits », note-t-elle. Communiste et athée, elle a découvert, « révulsée », l'homophobie qui régnait autour d'elle, à l'usine et chez les routiers, ces derniers mois. « Ils ne comprennent pas que la séquence sur le mariage pour tous ait tant occupé le gouvernement alors que la priorité des priorités, c'est l'emploi, la lutte contre le chômage. »


Trois heures du matin, sur le parking de l'usine, Jean-Claude veut durcir le ton. La veille, encore, elle a mesuré l'attrait du FN lorsqu'elle a rendu visite aux équipes de nuit. Plein de copains l'ont prévenue qu'ils avaient fait leur choix et pas sur le ton de la plaisanterie. Elle a aussi vu poindre une autre tension qui l'inquiète car elle ne saura pas « maîtriser » : l'envie d'en découdre, de radicaliser les actions. À l'image de Jean-Claude, 30 ans d'abattoir, qui veut faire « comme les agriculteurs jamais poursuivis, jamais condamnés alors qu'ils mènent des actions violentes, qu'ils saccagent des grandes surfaces, des biens publics pour des millions d'euros sans que les CRS ne les arrêtent ».
Son discours musclé sur le parking à trois heures du matin à la sortie de l'usine a fait des émules. Corinne en a discuté le lendemain avec l'agent des renseignements généraux qu'elle a croisé devant la préfecture de Quimper. Il suit les manifs de la filière avicole. Lui aussi a les mêmes remontées du terrain. Du Sud au Nord-Finistère en passant par le Centre- Bretagne, « les salariés sont chauds bouillants. Ils ne pourront pas dire là-haut que nous ne les avons pas prévenus »...

 

 

 

 

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