On a connu le gymnase Japy, haut lieu de rassemblement de la gauche, plus rempli. Mais pour un meeting sans rapport avec une élection française, ils étaient tout de même cinq bonnes centaines de sympathisants de gauche à être venus, un lundi soir, dans cette salle du XIe arrondissement de Paris, soutenir «le droit du peuple grec à prendre en main son destin». En un mot : aider Syriza et son leader, Alexis Tsipras, favoris des législatives anticipées de dimanche à Athènes. En un autre : montrer qu’une «alternative» rouge-rose-verte était aussi possible en France. Du moins en théorie.
La formation grecque cousine du Front de gauche français a ainsi réussi l’exploit de mettre sur une même scène Jean-Luc Mélenchon, le patron du PCF Pierre Laurent, l’ex-ministre écologiste Cécile Duflot et des représentants de l’aile gauche du Parti socialiste. Cette «alternative» à la politique de François Hollande et Manuel Valls rêvée par beaucoup mais encore loin d’être mise en pratique. «Le peuple grec n’a plus peur, a lancé Laurent en ouverture de ce meeting. Le programme de Syriza est le seul qui soit sérieux réaliste et capable de sortir la Grèce de la crise».
Pour le chef des communistes français - par ailleurs président du Parti de la gauche européenne dont Tsipras est vice-président - une victoire de Syriza en Grèce dimanche permettrait d'«engager la refondation démocratique de l’Europe entière» et «offrir une nouvelle chance […] à toute l’Europe. Cette chance gâchée (par) François Hollande en 2012». Premières - et seules - huées à destination du président de la République : après l’accalmie de dix jours due aux attentats, le clivage à gauche est de retour.
«A partir de ce soir, commence une nouvelle saison en Europe, a poursuivi Jean-Luc Mélenchon dans son style haut en verbe, une page va se tourner […] notre libération commence». L’ex-candidat Front de gauche à la présidentielle, soutien de Tsipras dès 2012 lorsque, déjà, Syriza prétendait à diriger la Grèce, espère un «effet domino» en Europe. D’abord la Grèce, ensuite l’Espagne et demain, «c’est ce qu’il se passera un jour à Paris», s’exclame-t-il, «à Paris !» Se moquant de certains commentateurs ayant cru au soutien de Marine Le Pen à Tsipras, Mélenchon a rappelé que le Laos, parti d’extrême droite en Grèce, était «ami» du Front national et gouvernait «avec la droite et les sociaux-démocrates». «Elle est mouillée jusque-là dans ce système», a-t-il insisté.
Quant à la dette, le député européen a martelé qu’elle ne «sera jamais payée», puis entame un long couplet sur l’Allemagne, demandant à son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble de «payer les dettes de guerre» de son pays à la Grèce. A ses ex-camarades socialistes venus à Japy et aux communistes avec qui il s’est écharpé l’an passé sur les liens à maintenir avec le PS, Mélenchon a rappelé qu’il ne céderait rien sur l'«autonomie»: sans «compromis pourri (...) on finit par l’emporter», a-t-il insisté. «J’ai connu Tsipras accepter une scission de son propre parti pour refuser d’aller gouverner» avec les sociaux-démocrates du Pasok, a rappelé l’ancien ministre de Jospin entre 2000 et 2002, exhortant, encore, son camp à «rompre, rompre absolument avec le vieux monde».
Nouvelle dans ses rassemblements de la gauche radicale, l’écologiste Cécile Duflot est venue, elle, montrer pattes rouges en plus de ses mains vertes. Avec une«proximité de cœur et de combat comme la meilleure des armes politiques», l’ex-ministre du Logement sous Ayrault a commencé son propos, assurant «être à (sa) place», «au milieu de vous, ensemble». «Nous en avons assez de prendre des leçons de responsabilités, a expliqué Duflot, nous voulons une autre politique en Europe comme nous voulons une autre politique en France». Alors «oui», souligne la responsable écologiste, «une autre politique est possible», «oui, la victoire de Syriza changerait la donne». Faisant le parallèle avec l’éparpillement à Paris de cette gauche «alternative», Duflot a estimé que Syriza les «met au défi de forger pour nous-même et par nous-même une voie pour l’espoir». «Nous devons les aider à faire que le soleil se lève sur la Grèce», a conclu l’ex-numéro 6 du gouvernement avant de reprendre sa place au premier rang et d’entrer en grande conversation avec son voisin… Jean-Luc Mélenchon.
Derrière elle, l’eurodéputé socialiste Guillaume Balas avait lui aussi besoin de justifier sa présence. Membre du PS, ce proche de Benoît Hamon a dû insister pour prouver qu’il avait été lui élu en juin sur le slogan «l’austérité n’est pas la solution»,un «mot d’ordre qui n’a jamais été aussi juste pour sortir l’Europe de l’ornière».Jamais sifflé, applaudi à la fin mais parfois moqué dans un public très Front de gauche, Balas a assumé être «socialiste». «Je prends au sérieux ce mot, a-t-il lancé.Et parce qu’aujourd’hui, en Grèce, un parti de gauche peut prendre le pouvoir […] Il sera bien difficile de nous dire qu’on ne peut pas faire autrement».
Autre ancien du PS et des Verts, Pierre Larrouturou n’a plus à justifier d’être présent avec cette «gauche alternative». «Nous avons tous conscience que nous sommes à un moment crucial», a défendu le fondateur de Nouvelle Donne, demandant à la France à «ne pas regarder ailleurs» comme lors de la guerre d’Espagne. «Ce n’est pas une fin, c’est un début», a abondé Clémentine Autain. La porte-parole d’Ensemble, petite formation membre du Front de gauche, s’est félicitée d’avoir«entendu des paroles fortes» de responsables syndicaux et politiques, comme Balas et Duflot, qui n’étaient pas avec eux il y a peu. Elle voit même dans la situation «un peu d’égoïsme» : «si Syriza gagne en Grèce, puis Podemos en Espagne, nous aurons du vent dans les voiles». Après les mauvais scores des européennes, cette gauche a déjà retrouvé un peu de couleurs. C’est déjà ça.