Un événement incroyable s’est produit dimanche soir au fond des urnes de la quatrième circonscription du Doubs : le candidat socialiste Frédéric Barbier, suppléant de Pierre Moscovici, a réussi à se qualifier pour le second tour de cette élection législative partielle qui le verra affronter le Front national. Autant dire, un truc de dingue, aussitôt relayé façon breaking news par toutes les rédactions qui se respectent.
Que la présence au second tour d’une législative du parti majoritaire de ce pays puisse faire sensation en dit long sur l’état du système politique. C’est tout juste si le fait que le FN soit largement en tête est mentionné, un non événement qui relève désormais de la normalité. Il n’y a pas si longtemps, il aurait suscité protestations et mobilisations. Mais s’agit-il d’une spectaculaire embellie pour la gauche gouvernementale ? L’étude des résultats se révèle plus préoccupante que rassurante. S’il faut se garder de généraliser les résultats d’une unique élection partielle, il est toutefois possible d’étayer quelques hypothèses.
Avec 28,85% des voix, Frédéric Barbier se place en deuxième position devant l’UMP Charles Demouge, troisième avec 26,54%. Ce score, s’il préserve l’essentiel – la présence au second tour – est en réalité peu flatteur pour le représentant socialiste. En 2012, avec 16.421 voix Pierre Moscovici avait obtenu 40,81%, le PS n’obtient cette fois-ci que 7.416 voix et perd donc près de 12% et plus de 9.000 voix. L’UMP qui avait 7.000 voix de retard en 2012 n’en a plus que 600 à l’élection de dimanche soir.
Cette deuxième place socialiste s’est donc jouée à peu de choses. Dans cette circonscription, plutôt favorable au PS, la droite ne l’a emporté qu’en 1993 et en 2002, deux moments très particuliers des rapports gauche / droite. Si l’effet Charlie existe sans doute, il est de très faible intensité et ce alors même que la proximité avec le 7 janvier devrait le porter à son plus haut niveau. Une bien mauvaise nouvelle pour la direction du Parti socialiste, alors que se profilent les élections départementales en mars et les régionales à la fin de l’année.
Avec 32,60%, la candidate du FN est largement en tête, gagnant 8,7% (et ne perdant que 1.200 voix) par rapport à 2012. Malgré la forte abstention (passée de 40 à 60%), la capacité de mobilisation de l’électorat FN est demeurée à un très haut niveau. Entre 2012 et 2015, le FN préserve 87% de ses voix quand l’UMP n’en garde que 73% et le PS 45%. Les analyses aussi empressées que prématurées qui, à la mi-janvier, avaient prédit un affaiblissement du parti de Marine Le Pen se sont révélées particulièrement hasardeuses.
De RTL expliquant « Charlie Hebdo : Marine Le Pen n’a pas compris » (ici), au Nouvel Observateur : « Marine Le Pen est dans une impasse. Elle a commis une double erreur » (si, si, c’est là) en passant par Le Monde« Comment Marine Le Pen s’est mise hors jeu » (eh oui, c’est là), nombreux sont les éditorialistes à avoir confondu analyses et espérances. Tout entiers tournés vers l’unité nationale, ils en avaient oublié que les raisons ayant permis le succès du Front national sont extrêmement profondes. Le racisme, les inégalités sociales, la perte de légitimité des différentes institutions, les problèmes qui minent la société française appellent des solutions de fond et non des petites manœuvres tacticiennes.
Décidément, rien ne va pour Nicolas Sarkozy. Sa tentative de retour, qu’il espérait triomphante, relève désormais du chemin de croix. Avec l’épineuse question de la consigne de vote, il se retrouve face à un choix impossible que son parti paiera dans tous les cas de figure. L’appel au vote PS au nom du front républicain ? Cela permettrait à Marine Le Pen de faire des gorges chaudes sur l’UMPS et déclencherait immédiatement la fureur de ceux qui, au sein du principal parti de la droite, lorgnent avec insistance du côté du FN.
Mais le ni-ni, qui semble avoir les faveurs de l’ancien président de la République, entraînera aussitôt des prises de positions individuelles en faveur du PS. Ce scénario est déjà en marche, et Le Figaro doit constater avec amertume que « L’UMP est en ordre dispersé ». Surtout, cette absence de choix va renforcer le fossé avec les centristes qui, dès l’annonce des résultats du scrutin, ont appelé à faire barrage au Front national. C’est donc une bien mauvaise opération pour une UMP déjà sans projet politique.
C’est peu dire que les résultats à la gauche du Parti socialiste sont modestes. Avec 3,66% pour le candidat Front de gauche et 3,11% pour celui des Verts, c’est la grande stabilité – à des niveaux très bas – qui se confirme. Certes, cette circonscription ne figure pas parmi les fiefs de la gauche radicale, mais les scores obtenus à chacune des treize élections partielles depuis 2012 ont tous donné la même indication : le désamour de l’électorat vis à vis des socialistes n’a jamais produit de renforcement, même modeste, du Front de gauche.
Ni la victoire de Syriza une semaine auparavant, ni les dizaines de milliers de manifestants à Madrid dimanche après-midi, n’ont de traduction politique en France.
L’issue du second tour devrait voir la victoire du socialiste Frédéric Barbier. Il dispose d’un petit réservoir de voix sur sa gauche, peut espérer une remobilisation partielle de son électorat et à droite il lui suffit que la logique habituelle des trois tiers s’applique : un tiers pour le PS, un autre pour le FN et un dernier qui se réfugie dans l’abstention. Une mauvaise surprise est toujours possible, mais la victoire du FN n’est pas le plus probable.
La situation apparaît pourtant bien détériorée. En 2012, au terme d’une triangulaire, Pierre Moscovici l’emportait avec 49,32% contre 26,21% à l’UMP et 24,47% au FN. Le niveau de l’abstention rend impossible, cette fois-ci, une triangulaire qui sinon aurait été à très hauts risques pour les socialistes. Surtout, les faiblesses de l’UMP font du Front national le principal opposant au Parti socialiste au pouvoir. Les 25% obtenus par le parti d’extrême droite aux européennes de 2014 ne sont pas un accident, mais traduisent des éléments profonds de la situation politique et sociale. La direction du Parti socialiste, prisonnière de calculs à très courte vue, peut y voir un effet d’aubaine. Ce serait une lourde erreur. Au moment où l’INSEE annonce d’ores et déjà que l’année 2015 s’achèvera avec 100.000 chômeurs supplémentaires, les raisons de s’inquiéter sont nombreuses.