Avec un quart des suffrages exprimés contre 15 % en 2011, le Front national vient de rencontrer un succès électoral sans précédent. Contrairement à ce que certains font semblant de croire, ce parti ne n'est plus seulement une menace potentielle, ou limitée à quelques petites villes de province bien lointaines de la capitale. Que faire dès lors pour l'empêcher d'accéder aux commandes ? Trois conditions devraient être réunies.

Premièrement, ce combat impose un changement de cap. L'abandon des intérêts des catégories populaires et moyennes au profit de couches aisées prétendument assommées d'impôts a constitué une faute lourde. De l'éducation à la santé, des jeunes aux personnes âgées, des cités de banlieues comme dans le monde rural, il faut répondre aux demandes d'une France en pleine crise.

Notre pays est riche. Face au marasme économique, la majorité utilise ses marges de manœuvre pour réduire les prélèvements au lieu de répondre aux besoins de la population. En 2017, l'année même de l'élection présidentielle, pas moins de 47 milliards d'euros partirons en fumée (ou plutôt en profits) avec le pacte de responsabilité. Ils auraient permis la modernisation de l'action publique, des places de crèche aux maisons de retraite, de l'école à la santé. Si le FN n'y accède pas en 2017, la droite au pouvoir aura exactement le même défi à régler. Or elle s'enferme aujourd'hui dans une course suicidaire à la surenchère conservatrice.

Il ne s'agit pas de remplacer une démagogie fiscale par une autre

Il ne s'agit pas de remplacer une démagogie fiscale par une autre. Des économies sur les dépenses publiques inutiles sont nécessaires. « Faire payer les riches », qui continuent à s'enrichir dans la crise, est légitime, à condition que cela ne se transforme pas en « faire payer les autres », une poignée de millionnaires. Il est socialement juste et économiquement incontournable de tous se retrousser les manches, en fonction de nos «capacités contributives » comme le dit la déclaration des droits de l'Homme. C'est cet effort collectif partagé qui justifie, par la suite, la redistribution de la richesse.

Renverser le discours vis-à-vis des étrangers

Deuxièmement, ce combat impose un renversement du discours vis-à-vis des étrangers. La démagogie a entraîné une grande partie de la droite comme de la gauche à faire de ceux venus d'ailleurs les responsables de nos maux.

La démagogie a entraîné une grande partie de la droite comme de la gauche à faire de ceux venus d'ailleurs les responsables de nos maux

Un nombre croissant d'intellectuels distillent une xénophobie larvée, surfent sur les angoisses et rencontrent un large succès de droite à gauche, du Figaro à Libération. La parole est libérée. Qui construit nos logements ? Qui fait notre industrie ? Qui nettoie nos bureaux ? Sinon une main-d'œuvre dont l'importation a été organisée en masse, et sans laquelle la France n'aurait jamais le rang qu'elle occupe aujourd'hui dans l'économie mondiale. On n'empêchera pas l'arrivée du FN au pouvoir sans que l'ensemble de la classe politique dénonce clairement cette démagogie ruineuse pour notre pays.

Ce changement n'implique pas, là non plus, de remplacer une démagogie par une autre. La xénophobie par la défense béate des vertus de la « diversité », ou de nier les difficultés d'intégration de populations socialement défavorisées concentrées sur une faible partie du territoire, mais de situer les difficultés là où elles sont, pour l'essentiel dans le poids d'une crise sans précédent pour les non-qualifiés et les jeunes.

Mettre fin aux « clubs fermés »

Troisièmement, l'arrivée au pouvoir du Front national dépend de la mobilisation de chacun. Manger bio et sain, programmer ses prochains congés, choisir l'école de ses enfants, s'offrir le dernier Iphone, c'est sympathique pour ceux qui en ont les moyens. La croisière s'amuse, à l'abri des tempêtes de la crise. Ceux qui s'activent dans les syndicats, les partis ou les associations pour rendre la société plus juste ne sont pas légion.

Il existe de bonnes raisons à cela : l'incapacité des organisations à s'ouvrir est grande, les sollicitations de notre société de plus en plus nombreuses. A part à l'extrême droite, les partis sont devenus des clubs fermés. Reste à savoir à quel moment le danger sera ressenti de manière suffisante pour susciter l'engagement. A moins que l'indignation actuelle ne soit, au fond, qu'une façade qui cache l'indifférence d'une société consumériste et l'oubli progressif des pages noires de notre Histoire.

L'Observatoire des inégalités lance une campagne de soutien pour éditer le premier rapport sur les inégalités en France (lien : www.ulule.com/etat-inegal)

LOUIS MAURIN