« Nous avons une vision du monde et de la politique inconciliables », a déclaré Pedro Sanchez, leader du PSOE, à la sortie de son dernier échange avec le premier ministre conservateur Mariano Rajoy. Les socialistes, qui ont sauvé in extremis leur deuxième place (22% des suffrages et 90 sièges), étaient ces deniers jours au centre de toutes les spéculations d’alliances. Comme pressenti, ils ont refusé la proposition d’une grande coalition avec la droite du Parti populaire (PP), celui-ci faisant pourtant miroiter en contrepartie un bon nombre de ministères clefs.
Après avoir enregistré le plus mauvais résultat de son histoire, le parti de Pedro Sanchez sait qu’une alliance avec la droite espagnole signerait à moyen terme sa mort politique, notamment la fuite définitive de ses électeurs vers Podemos, plus communément appelée par les médias la "formation violette" (20,5% des voix, 68 sièges).
Dans les faits, Mariano Rajoy pourrait rester au palais de la Moncloa, le siège de la présidence du gouvernement, grâce à l’abstention du PSOE et de Ciudadanos, le nouveau parti de la droite [1] (13,7% – 40 sièges). Cependant, si le leader de Ciudadanos Albert Rivera a déjà dit qu’il était prêt à soutenir indirectement l’investiture du PP tout en restant dans l’opposition, le refus désormais explicite des socialistes écarte un tel scénario. Le socialiste Pedro Sanchez s’était dit « prêt à explorer toutes les options », autres que celle de pactiser avec les conservateurs.
Au Portugal, loin des feux médiatiques, l’accord entre les socialistes et la gauche radicale du Bloco de Esquerda a constitué en novembre 2015 une première européenne. En Espagne cependant, d’une part ce type de coalition semble trop hétérogène et, d’autre part, après avoir enregistré le plus mauvais résultat de son histoire et depuis l’intention affichée de Pedro Sanchez de rester à la tête du PSOE, le parti est secoué par des rivalités internes qui entravent lourdement les négociations avec le reste de la gauche.
À l’évidence, aucun gouvernement ne sera formé dans les deux mois et de nouvelles élections seront alors convoquées. En effet, l’union des gauches suppose un accord entre le PSOE, Podemos, l’héritier du parti communiste Izquierda Unida (2 sièges) et… la gauche indépendantiste, à savoir l’ERC (Esquerra Republicana de Catalunya, 9 sièges) en Catalogne et EH Bildu (2 sièges) au Pays Basque [2]. La tenue d’un référendum pour l’indépendance de la Catalogne constitue un des engagements électoraux de Podemos. Or le 27 décembre, après une réunion houleuse de plusieurs heures, les cadres du parti socialiste ont finalement interdit à Pedro Sanchez toute alliance avec des partis favorables au " séparatisme ".
Enfin les concessions programmatiques de Podemos à l’égard du PSOE sont très limitées : selon l’historien Emmanuel Rodriguez, très proche des mouvements sociaux, le vote Podemos n’est pas d’adhésion mais plutôt pragmatique. En effet, on reproche parfois à la formation violette de ne pas être directement issue du mouvement des Indignés – aussi appelé mouvement du 15M – mais d’avoir d’abord « été pensée par un noyau d’universitaires, de professeurs de sciences politiques de Madrid » rappelle Heloise Nez, sociologue [3]. Pablo Iglesias a aussi rompu avec certains tabous de la gauche radicale en investissant massivement l’espace audiovisuel : il ne peut pas se couper davantage de sa base électorale.
Ainsi, dès le soir des résultats, Iglesias a présenté comme « non négociable » la mise en place plusieurs réformes radicales dont le« blindage constitutionnel » [4] des droits sociaux, la réforme du système électoral, le non cumul des mandats et le plafonnement des indemnités pour les élus à trois fois le salaire minimum [650 euros]. Et, bien entendu, ceci empêche tout accord parlementaire avec les cadres du PSOE, qui y perçoivent une entrave à leur carrière politique.
La grande rivale de Pedro Sanchez, la présidente socialiste de la région Andalousie, Susana Diaz, a multiplié ces derniers jours les attaques médiatiques contre Pablo Iglesias qu’elle accuse, faute de compromis, de« faire le jeu du Parti populaire ». En filigrane, on devine une lutte d’hégémonie au sein du PSOE, car certains barons comme elle souhaitent le départ de Pedro Sanchez et tentent d’occuper l’espace médiatique, mais aussi le lancement de la prochaine campagne électorale.
« Si nous allons vers de nouvelles élections, nous pensons avoir beaucoup de chances de les gagner », a assuré Pablo Iglesias après son entretien avec Mariano Rajoy fin décembre. Depuis, ceci a été confirmé par les dernières enquêtes d’opinion. Par ailleurs, si Izquierda Unida et Podemos s’accordent à fusionner leurs listes, avec un million de voix supplémentaire, la gauche radicale bénéficie déjà mathématiquement de 13 sièges supplémentaires [5]. En six ans, la Grèce a connu cinq élections générales : l’Espagne s’engage-t-elle alors dans un scénario comparable ?
De son coté, le Parti populaire espère récupérer les électeurs perdus dans les rangs de Ciudadanos en vantant un discours de « stabilité », seule garantie selon Mariano Rajoy d’une bonne gouvernance. Sauf que« l’exercice de la politique, c’est avant tout le consensus et le conflit, rarement la stabilité », oppose David Dominguez, doctorant en philosophie politique et membre des cercles du 15-M, qui voit dans ses nouvelles élections une étape salutaire pour une vrai transition en Espagne.