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Alternatives & Révolutions
26 juin 2016

CHANTAL MOUFFE : " LE BREXIT EUT CONSTITUER UN CHOC SALUTAIRE " - MEDIAPART EN ACCES LIBRE -

Chantal Mouffe: «Le Brexit peut constituer un choc salutaire»

 

25 JUIN 2016 | PAR JOSEPH CONFAVREUX

D’origine belge, vivant et enseignant à Londres, et très proche de Podemos dont elle inspire la stratégie politique, la philosophe Chantal Mouffe réagit pour Mediapart au Brexit et à ses conséquences possibles sur les élections espagnoles de dimanche.

Chantal Mouffe est professeur de théorie politique à l’université de Westminster. Elle vient de publier, en français, Le Paradoxe démocratique, aux éditions des Beaux-Arts de Paris, et L’illusion du consensus, aux éditions Albin Michel.

Mediapart : Quels enseignements tirez-vous du vote pour le Brexit ?

Chantal Mouffe : J’espère que ça va être un choc salutaire pour l’Europe, parce qu’on ne peut plus continuer ainsi. Si j’avais pu voter, j’aurais peut-être voté pour le « Remain »,parce que je suis du nombre de ceux qu’on appelle à Londres les leftwing europeanistsqui, sans être souverainistes, exigent une refondation démocratique de l’Europe. Mais je m’attendais à ce résultat parce que, durant la campagne, il n’y avait que du côté des « Brexiteurs » qu’on sentait une véritable passion. Or, je crois au rôle décisif des affects en politique.

 

L’impossibilité de s’identifier à l’Europe existante, néolibérale, explique pourquoi quelqu’un comme Corbyn n’a pas vraiment fait campagne. Il était dans une position intenable, à défendre le « Remain », à l’instar de Cameron, mais pour des raisons opposées, en réclamant une Europe plus sociale, alors que Cameron voulait une Europe toujours plus libérale. Je ne suis donc pas catastrophée.

 

D’une part, si ce vote peut faire du mal à la City et aux forces néolibérales, il est possible de s’en réjouir. De l’autre, même si le Brexit ne l’avait pas emporté, l’Europe aurait été confrontée à un problème avec la Grande-Bretagne, puisque Cameron avait obtenu tellement de concessions pour envisager de rester que cela aurait posé des difficultés insurmontables pour l’avenir de l’Europe. Et il est aussi intéressant de voir ce qui peut maintenant se passer avec l’Écosse. C’est peut-être le début de la fin de la Grande-Bretagne.

Pourquoi la critique de l’Europe néolibérale a-t-elle été monopolisée par des forces d’extrême droite durant cette campagne référendaire britannique ?

J’ai été frappée à quel point les travaillistes s’intéressent peu à l’Europe. Même parmi les gens de gauche, les plus europhiles d’entre eux disaient parfois : « Il vaut peut-être mieux qu’on quitte l’Europe, afin qu’elle puisse avancer sans nous. » À chaque fois que j’ouvrais la radio, j’ai aussi été saisie par les discours de haine, xénophobes, qui se déversaient alors.

Cette campagne a fait ressurgir le pire des Anglais. C’est pour cela qu’à la fois j’ai le sentiment que l’Europe est peut-être face à une crise salutaire, mais que je crains qu’un moment centrifuge, qui se traduirait par « l’exit » d’autres pays, conduise à l’expression des pires passions. Si un démantèlement de l’UE avait lieu aujourd’hui, il bénéficierait en premier lieu aux forces populistes de droite. C’est pourquoi j’ose encore espérer dans la possibilité d’un populisme de gauche européen, porté par plusieurs pays, notamment l’Espagne. 

Pensez-vous encore qu’une politique alternative soit possible à l’intérieur des institutions européennes telles qu’elles existent ?

 

Non, pas telles qu’elles existent actuellement. Mais avec des gouvernements progressistes en Espagne, en France, en Italie ou au Portugal, il serait possible, pour moi, de construire un rapport de force susceptible de modifier les institutions telles qu’elles fonctionnent. En Espagne, le parti socialiste [PSOE] et le Parti populaire [PP] ont agité l’épouvantail grec pour dissuader les gens de voter Podemos. Mais la comparaison ne tient pas. L’Espagne est un pays beaucoup plus grand et la Grèce était beaucoup plus endettée.

 

Je ne pense pas que, si un gouvernement progressiste, en Espagne ou en France, menait la bataille à l’intérieur de l’UE, cela se passerait comme en Grèce, où Tsipras s’est véritablement retrouvé avec un couteau sous la gorge. On peut donc imaginer que des gouvernements alliés autour d’un populisme de gauche à l’échelle de l’Europe renversent les rapports de force et imposent une refondation en profondeur du projet européen. Ce n’est pas évident, mais j’y crois davantage qu’à une sortie de l’UE qui ne fournirait pas de vraies prises à des gouvernements qui s’engageraient unilatéralement dans un tel processus.

Il ne s’agit pas d’établir la révolution socialiste. La stratégie pour la gauche européenne me semble aujourd’hui être celle d’un réformisme radical, qui passe par une guerre de positions, imposant d’aller le plus loin possible dans les réformes, ce qui impliquera sans doute des ruptures, mais de manière graduelle, parce qu’on ne peut pas prévoir tout à l’avance et que tout dépendra aussi de la conjoncture internationale. Il me semble que c’est ce que propose Iglesias avec son projet de « 4e social-démocratie », qui ne jette pas le projet social-démocrate avec l’eau du bain, mais exige un retour à une social-démocratie véritablement radicale.

Podemos ne semble pourtant guère avoir pour projet de remettre en cause en profondeur les institutions européennes, si ce n’est une légère réforme de la BCE ?

 

Alexis Tsipras en 2015.Alexis Tsipras en 2015.
Ils sont certes prudents, mais ils ont pour projet de remettre en cause les mesures austéritaires. Il sera donc intéressant de cerner les marges de manœuvre qu’ils seront en mesure d’imposer. Personnellement, je préfère que Podemos ne soit pas en train de brandir la sortie de l’UE comme une menace. J’avais assisté, en 2014, à une rencontre où se trouvait Alexis Tsipras, avant qu’il accède au pouvoir. Il était alors très optimiste, en jugeant qu’il avait « l’arme atomique de la sortie de l’euro » entre ses mains. Quand il s’est retrouvé face à Schaüble, qui voulait lui aussi que la Grèce sorte de l’euro, il s’est retrouvé bien désemparé.

 

En dépit de la violence infligée au peuple grec, l’exemple de ce pays n’invalide pas, selon moi, la possibilité d’une vraie gauche de transformation en Europe. L’expérience grecque a permis de comprendre que l’Europe néolibérale ne pouvait pas se permettre le succès d’une alternative réelle dans un seul pays. Cela a donc politisé les enjeux, montré que l’Europe n’était pas un projet neutre, et cela permettrait aujourd’hui à un gouvernement progressiste d’être moins naïf que ne l’était Tsipras.  

Le Brexit peut-il affecter les résultats des élections de dimanche en Espagne ?

 

 

Je ne sais pas, mais je le crains. L’insécurité pousse souvent les gens à voter à droite et on peut se demander si les Espagnols vont vouloir ajouter de l’incertitude à la situation européenne en se dotant d’un nouveau gouvernement. Cela pourrait donc avantager le parti conservateur de Mariano Rajoy (PP). Mais j’espère encore qu’on puisse se retrouver, au lendemain des élections de dimanche, avec un gouvernement Iglesias, même si cela obligera alors le PSOE à clarifier sa position. S’il arrive derrière Podemos, soutiendra-t-il plutôt un gouvernement du PP ou un gouvernement Podemos ? Je pense que Sanchez, l’actuel leader du PSOE, serait plutôt en faveur d’un soutien à Podemos, mais ce n’est pas le cas de tous les barons socialistes.

Que pensez-vous des critiques adressées, depuis la gauche, à Podemos, trop vertical et centralisé, même si le parti d’Iglesias s’est repositionné à gauche en faisant attelage avec Izquierda unida ?

Je les trouve injustes, notamment parce qu’elles se fondent souvent sur les expériences municipales, de Barcelone ou Madrid, et qu’on ne peut décalquer les échelles locales et nationales. Podemos a dû faire face à quatre élections, et les campagnes électorales ne sont pas propices aux discussions internes. Mais ils sont bien conscients qu’il faut que les « cercles » conservent leur importance dans le fonctionnement du parti et ils cherchent à leur redonner de la vigueur, ce qui a été le cas notamment durant cette campagne. Et je reste saisie par leur créativité extraordinaire. En présentant leur programme sous forme de catalogue Ikea, ils ont réussi non seulement un coup médiatique, mais sont parvenus à faire en sorte que les électeurs, qui ne lisaient plus les programmes, s’en emparent à nouveau.

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