Dans un essai dédié à la défense de l'ancien trader, l'écologiste Julien Bayou dénonce les dessous d'une affaire d'État avec son lot de conflits d'intérêts et de renoncement politique face au lobby de la finance.

Vendredi 23 septembre, après huit ans de procédures, la cour d’appel de Versailles va enfin trancher et dire si Jérôme Kerviel doit ou non verser à la Société générale les dommages et intérêts faramineux (4,9 milliards d'euros) auxquels il a été initialement condamné. Et c’est à la veille de ce verdict que le militant associatif et porte-parole d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) publie un essai revenant sur le volet financier public de cette affaire.

 

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Kerviel : une affaire d'État. 2 milliards pour la société en général, Julien Bayou (co-écrit avec Arthur Vincent), préface d'Eva Joly, éditions Arcane 17, 124 p., 10 €.

Engagé dans ce dossier depuis 2013, Julien Bayou dénonce dans Kerviel : une affaire d'État (éditions Arcane 17), le « cadeau fiscal »versé par l’État entre 2009 et 2010 à la Société générale, d’un montant total de 2,2 milliards d’euros. Censé dédommager la banque de la fraude monumentale de son trader, dont le coût a été estimé par elle-même à 4,9 milliard d’euros, ces deux milliards ont gracieusement été offerts par le fisc avant même que la justice n'ait tranché sur les responsabilités de la banque dans ce dossier.

 

Engagement dans la défense de l'ex-trader

« Je me plonge dans l’affaire, et pourtant, en juin 2013, il ne fait pas bon de soutenir un trader "coupable idéal" quand on est de gauche », écrit-il. Julien Bayou n’est toutefois pas le premier – Jean-Luc Mélenchon s'y est déjà risqué sur son blog – ni le seul : Eva Joly, qui préface son essai, Éric Alauzet, Isabelle Attard ou Marie Noëlle Lienemann s’intéressent eux aussi à ce dossier sulfureux et à la défense de Jérôme Kerviel. Bien que son objectif n'est pas, selon lui, de prouver l'innocence de l'ancien trader, Julien Bayou explique cet engagement :

Kerviel a parfaitement connaissance de l’abjection de son ancien métier. Il a spéculé sur les attentats de Londres en juillet 2005, en pariant contre les compagnies d’assurance. Il a joué avec les cours de céréales. Il l’explique et le regrette. Mais là n’est pas mon combat. L’enjeu, c’est la partie "cadeau fiscal".[...] Si Kerviel n’est pas 100% responsable, alors la banque n’aurait jamais dû toucher cette somme.

Julien Bayou a d'ailleurs lancé une procédure devant la cour administrative d'appel de Paris pour faire annuler ce qu'il appelle « le cadeau fiscal » de Bercy à la Société générale.

Adepte d'un engagement « multi-facettes », se positionnant comme un fervent défenseur du contribuable, Julien Bayou estime d’emblée que la Société générale n’aurait jamais dû toucher ces milliards d’euros « de réparation pour un préjudice qu’elle a elle-même provoqué ». Appelant à ce que la justice reconnaisse la part de responsabilité de la Société générale, déjà épinglée dans de multiples scandales financiers ou plus récemment dans les révélations des Panama Papers, Julien Bayou rappelle que la banque a également été condamnée par le conseil des prud’hommes à verser 450 000 euros à l’ancien trader pour « licenciement abusif ».

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En effet, cette décision de justice atteste que, dès 2005, Jérôme Kerviel dépassait les limites de risques autorisées et que la banque le savait. Or, rappelait un article des Échos cité par Julien Bayou, « aucun fait fautif ne peut donner lieu à des poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois ». De fait, cette décision démontre une fois de plus que les banques bénéficient d'une totale impunité et qu'elles ne sont quasiment jamais inquiétées grâce à leurs liens avec les plus hautes instances de l’État.

Dans son essai, Julien Bayou défend d'ailleurs la thèse d’un Jérôme Kerviel désigné comme étant le bouc émissaire, facilement érigé en coupable idéal dans un« crime presque parfait ». Une théorie à l’exact opposé de celle défendue par la Société générale qui parle de son côté d’un « trader isolé ».

« Au service de la société en général »

Mais pour l'écologiste, cet ouvrage est aussi l’occasion« de dresser quelques pistes pour sortir de cet entre-soi politico-financier ». Pour ce faire, il propose notamment d’utiliser ces quelques milliards « que la Société générale nous doit » pour les verser « au pot commun d’une révolution » servant à l’expérimentation du revenu universel. Un revenu inconditionnel qu’il définit essentiellement comme étant un « projet de redistribution universel des cartes et des chances ».

Avec ces deux milliards, que Julien Bayou souhaite au service, non pas de la Société générale, mais de la société, en général, il propose une redistribution de cette somme à 33 000 Français durant cinq ans. Une initiative qui permettrait de démontrer les bienfaits du revenu inconditionnel, déjà expérimenté en Finlande ou au Kenya :

Une très encourageante étude préliminaire menée sur l’expérimentation kényane a déjà montré que les personnes ayant reçu un revenu de base ont moins souffert de la faim, ont investi dans des biens coûteux par rapport à leur niveau de vie mais utiles tels que des toits en métal et des animaux de ferme. Leur bien-être psychologique a également progressé et leur consommation d’alcool et de tabac n’a pas augmenté, tout comme leur niveau de stress.

Mais avant d’en arriver à la formulation de cette proposition, Julien Bayou dresse le bilan funeste de notre société et modèle de démocratie, que le scandale de la Société générale n’aura pas su faire vaciller, malgré les espérances. Critiquant l’impunité et l’irresponsabilité des banques et des ministres, comme l’absence d’une véritable justice financière, Julien Bayou en profite pour rappeler l’importance et la nécessité de ses propres engagements... Assurant pourtant qu’il ne s’agit en rien d’un programme politique, mais plutôt de quelques pistes de réflexions, le porte-parole des écologistes propose aux citoyens de « reprendre le contrôle » par des mesures éparses, destinées à affronter « le 1% » qui « bloque ce nouveau monde qui ne demande qu’à éclore ».