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Alternatives & Révolutions
14 octobre 2016

MIGRANTS: L'HORREUR EN IMAGES...

Paris Match

 

Migrants : la traversée infernale

 

 Publié le 14/10/2016 

Dans le Zodiac surchargé, les naufragés marchent sur les morts. Mardi 4 octobre, à la frontière des eaux territoriales libyennes, lors d’une opération de sauvetage. Les plus affaiblis n’ont pas survécu.

Dans le Zodiac surchargé, les naufragés marchent sur les morts. Mardi 4 octobre, à la frontière des eaux territoriales libyennes, lors d’une opération de sauvetage. Les plus affaiblis n’ont pas survécu.Aris Messinis / AFP

Alors que l’Europe redoute d’être submergée par le flot des réfugiés, leur détresse bouleverse et désoriente les opinions publiques

«C’est un son terrible, infernal : un mélange d’appels à l’aide et de pleurs, auquel se mêlent les supplications de ceux qui meurent de soif, les cris d’agonie de ceux qui s’asphyxient, les hurlements des bébés, la panique…" Embarqué sur un navire de sauveteurs en mer bénévoles, le photographe grec Aris Messinis couvre le drame des migrants en Méditerranée depuis l’irruption de cette crise humanitaire, à l’automne 2015. Il a vu passer des réfugiés par milliers, des cadavres par dizaines, mais il ne s’y habitue pas. « Les mots manquent pour décrire ce bruit quand on approche d’un bateau à la dérive… Quiconque a entendu ces cris est marqué pour toujours. Il suffit de fermer les yeux pour les entendre à nouveau, et c’est difficile de ne pas pleurer. »

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Aris Messinis, photographe à l’AFP qui suit les migrants, a le sentiment de ne plus vivre dans un monde civilisé

La scène qu’Aris et ses compagnons découvrent la semaine dernière est symptomatique de ce mois d’octobre, au large de la Libye. Une barcasse en bois, mal terminée, de quelque 25 mètres de longueur, et une douzaine de canots gonflables qui flottent à la dérive. Les moteurs ont calé, il n’y a ni capitaine ni radio pour lancer de SOS. Les canots mesurent à peine plus de 12 mètres, mais les trafiquants d’êtres humains y entassent près de 200 personnes à chaque fois. A bord de l’embarcation en bois, ils sont un millier à tenir, sur trois niveaux. Dans la cale, ils sont si serrés ­qu’aucun ne peut bouger, allongés comme du bétail, sans une goutte d’eau ni la moindre nourriture.

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Une vision cauchemardesque qui rappelle les pires évocations de la traite des esclaves, lorsque les armateurs français et anglais faisaient fortune en convoyant leurs captifs vers les plantations américaines. Sauf qu’ici la plupart des réfugiés montent de leur plein gré. « Ils paient même dans les 2 000 dollars par passager, affirme Aris. Ça peut sembler difficile à concevoir mais, à leurs yeux, c’est un acte de survie. Le risque de mourir en mer leur paraît moins terrible que de rester en Libye ou, pire encore, d’avoir à retourner chez eux ! »

A 2 000 dollars le passage, le trafic est extraordinairement rentable dans un pays en guerre et finance les mafias autant que les milices libyennes

Venus de Centrafrique, du Nigeria, du Soudan, d’Erythrée, les migrants dont parle Aris ne sont pas des « réfugiés économiques » en recherche d’une meilleure existence, explique-t-il. Ce sont tout simplement de jeunes hommes et femmes persuadés qu’ils n’ont plus aucune espérance de vie dans leur pays d’origine. Visa d’or du Festival international de photo­journalisme, à Perpignan, pour son travail en mer Egée, le photographe de l’AFP se dit effaré par les conditions qu’il a découvertes en Méditerranée occidentale, au large de la Libye. « C’est une mer très dure, hachée, avec beaucoup de vent.

Même quand il n’y a pas de tempête, je suis à trois pilules anti-mal de mer par jour pour tenir », raconte-t-il. Pour preuve du danger, sur les 3 771 migrants estimés morts en mer l’année dernière, presque 2 900 avaient embarqué en Libye. Les passeurs, eux, n’ont cure du mauvais temps. Ils savent que « la saison » va bientôt s’achever : vers la fin du mois d’octobre, les conditions deviennent trop difficiles. Alors, en attendant, ils profitent de la moindre éclaircie pour accélérer les départs.

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La manne des réfugiés paraît presque intarissable pour les réseaux criminels de Libye, où l’Organisation inter­nationale pour les migrations estime qu’au moins 275 000 personnes attendent d’embarquer pour l’Europe. Un trafic extraordinairement rentable dans un pays en guerre civile, qui finance aussi bien les mafias de passeurs proches des milices que des djihadistes de Daech. Selon l’estimation d’Aris Messinis, la barge en bois, rafistolée pour l’occasion, qu’il a contribué à secourir, rapporterait ainsi près de 2 millions de dollars en un seul passage. A ce prix, qu’importe si les gardes-côtes italiens brûlent toutes les embarcations qu’ils trouvent. Les trafiquants libyens n’ont d’ailleurs pas pour habitude de rester à bord des navires-­poubelles qu’ils envoient au large. Ils préfèrent confier la barre à un migrant, en lui donnant quelques directives rudimentaires. Détail particulièrement sordide, ces trafiquants ne fournissent même pas à leurs passagers l’essence qui leur permettrait ­d’atteindre Malte ou l’île italienne de Lampedusa, à des centaines de kilomètres des côtes libyennes. En fait, ils les envoient sciemment vers la mort, sur un coup de dés : soit les sauveteurs les repèrent à temps, soit ils périssent en mer. « Ils ont juste assez de carburant pour quitter les eaux territoriales libyennes », explique Aris. Ensuite, les moteurs calent et les rafiots dérivent.

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C’est ce qui s’est passé la semaine dernière, lorsque Proactiva Open Arms, l’ONG espagnole avec laquelle il s’est embarqué*, a repéré des petits points sur le radar de bord. L’« Astral », ­voilier à deux mâts de l’ONG, met alors le cap en direction des signaux suspects, à 12 milles de la ville côtière de Sabratha, en lisière des eaux internationales. A son bord, un équipage d’une dizaine de volontaires, presque tous gardes-côtes professionnels en Espagne, qui prennent sur leurs congés pour faire des rotations de quinze jours en haute mer, au large de la Libye. « Je les ai ­rencontrés l’année dernière sur l’île de Lesbos. Leur association est extraordinaire. De mes yeux, je les ai vus sauver des milliers de vies », raconte le photographe, parti avec eux pour deux semaines de tournée. Plusieurs ONG importantes, dont Médecins sans frontières et des associations allemandes ou néerlandaises, voguent habituellement dans le secteur avec de gros navires. Mais aucune n’est dans les parages ce mardi matin, car ils sont tous partis vers Catane, en Sicile, déposer au centre d’hébergement des autorités ­italiennes les migrants qui s’entassent déjà à leur bord. En ­s’approchant, Aris et ses équipiers de l’« Astral » comprennent qu’ils doivent affronter une situation particulièrement critique.

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« A force, on a appris à repérer, rien qu’à la jumelle, à 6 ou 7 milles, le nombre de bateaux et de passagers à bord, affirme Saras, le skippeur grec d’un des canots de sauvetage qu’emporte le voilier. Mais là, on ne voyait que des grappes d’hommes qui débordaient dans la mer. » Exténués, debout sans boire ni manger depuis leur départ, plus de douze heures auparavant, les réfugiés accueillent leurs sauveteurs avec ces cris qui glacent le sang. La situation est critique. L’« Astral » met vite à l’eau ses deux canots. Aris est à bord de l’un d’eux, avec Saras et deux autres sauveteurs. Le canot peut charger 45 personnes à chaque rotation, déposant les naufragés sur un navire de la marine italienne qui a répondu au SOS de l’ONG. Au fil des mois et des drames en mer, les secouristes de Proactiva ont peaufiné leur approche. Leur canot commence par tourner autour des migrants en les rassurant. Surtout, ne pas faire de distribution de vivres à ce stade. « Ils sont dans un tel état de désespoir qu’ils pourraient s’entre-tuer pour une goutte d’eau », affirme Aris, devenu, au fil des jours, plus sauveteur que photographe. « Avec des signes, en français et en anglais, on leur fait comprendre qu’on ne les abandonnera pas et qu’on les ­évacuera tous, mais que ça mettra la journée. »

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Ce matin-là, les passagers du canot pneumatique sont ­tellement entassés que plusieurs ont sauté à l’eau. Certains nagent depuis des heures. Aris et ses compagnons distribuent des gilets de sauvetage – ils vont vider leur stock de plus de 2 000 gilets en une seule journée ! –, puis commencent les évacuations. La priorité reste de trouver la section de la barque où sont regroupés les femmes et les enfants en bas âge, dont plusieurs bébés. Généralement, ils sont à l’arrière, pour leur épargner le pire de l’effroyable presse. Chacun les laisse partir en premier. Les bébés passent de main en main, jusqu’aux secouristes. C’est peut-être l’un des derniers fragments d’humanité qu’il reste à bord. Sur le bateau, certains ont été asphyxiés, d’autres sont morts debout, écrasés, presque broyés par leurs compagnons d’infortune.

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« Comme le bateau prenait l’eau, on a retrouvé au fond plusieurs personnes qui sont mortes noyées », ajoute Aris. Ce sont en tout 29 corps sans vie qu’ils découvriront sur un seul des canots gonflables : 19 femmes et 10 hommes, qu’on voit sur les images du photographe, en train d’être piétinés par les réfugiés qu’on ­évacue. A bord du gros navire de bois, dans l’odeur pestilentielle de la cale où se mêlent les miasmes de la souffrance humaine et les gaz d’échappement du moteur, trois autres personnes sont mortes asphyxiées au cours de la nuit. Les survivants vont se presser sur les navires de la marine italienne qui convergent sur les lieux au fil de la journée, tandis qu’un bateau de gardes-côtes italiens se charge des autres canots à la dérive et qu’un avion militaire espagnol largue quelques radeaux.

Exténués, debout sans boire ni manger depuis douze heures, les réfugiés accueillent leurs sauveteurs avec des cris qui glacent le sang

Des secours qui paraissent bien dérisoires aux yeux du photo­graphe. « L’an dernier, l’Europe a abandonné la Grèce face à la crise des migrants. Cette année, elle laisse ­l’Italie se débrouiller pratiquement seule : qu’est-ce que ça veut encore dire, “l’Union” européenne, dans ces conditions ? » Il en est convaincu : les gouvernements font le minimum pour aider les réfugiés, misant sur l’enfer de leur traversée pour tenter de ­dissuader les autres et tarir de la sorte l’immigration clandestine vers l’Europe. « J’ai le sentiment de ne plus vivre dans un monde civilisé, s’indigne Aris. S’il ne reste que ça de notre ­civilisation, j’ai honte. »

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