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Alternatives & Révolutions
22 mars 2017

PRESIDENTIELLE : SE SORTIR DE LA CRISE POLITIQUE (R. Martelli)

Regards (R. Martelli)

Présidentielle : se sortir de la crise politique

 

 

À force de scruter le moindre frémissement des sondages, on en finirait par oublier l’essentiel : nous vivons à la fois une crise de régime et une crise exceptionnelle de la politique. Et ce n’est pas avec de l’arithmétique politique que l’on s’en sortira.

N’utilisons pas ici les sondages comme des prédictions de vote : ils font sans cesse la preuve de leur fragilité. Lisons-les au second degré, sur ce qu’ils peuvent nous dire des soubassements contemporains de la politique [1].

Symptômes de crise

Le paradoxe fondamental s’énonce dès le début. En mars, quatre personnes interrogées sur cinq disent qu’elles sont intéressées par l’élection présidentielle, mais le même pourcentage à peu près considère que le débat politique s’appauvrit (78%) et près de neuf sur dix estiment que les hommes politiques parlent plus qu’ils n’agissent (86%).

Résultat : deux personnes sur trois seulement se disent certaines d’aller voter. Les plus décidés sont les retraités (75%), les plus incertains sont les ouvriers (62%). Si nous ajoutons à ces chiffres les 7 à 8,5 millions de personnes qui ne sont pas inscrites ou qui sont mal-inscrites sur les listes électorales, nous avons une petite idée de la crise démocratique que nous vivons. La majorité de la population en âge d’aller voter est en marge de la décision électorale.

[Lire aussi : L’abstention : « Il va falloir que je pense à gouverner, un de ces jours »]

Le résultat le plus significatif est dans l’incertitude profonde des intentions de vote elles-mêmes. 80% des interrogés disent qu’ils vont voter, mais 59% affirment qu’ils peuvent encore changer leur vote ! Si l’on projette ces chiffres sur le corps électoral français, nous en tirons une conclusion toute simple : un gros tiers (36%) à peine des électeurs se pense certain de son vote. L’incertitude du vote et le niveau moyen d’abstention des derrières années se conjuguent. Nous sommes constitutionnellement dans un système politique majoritaire, centré sur une élection présidentielle à deux tours. Mais la seule majorité avérée est celle de ceux qui se sentent extérieurs au système. Nous voilà donc avec une majorité… minoritaire.


La conséquence coule de source : l’élection présidentielle ne reposera sur aucune majorité, sinon fictive. Jamais, de fait, le paysage politique officiel n’aura été si éclaté, sauf au temps de la IVe République et de la guerre froide qui perturbait le libre jeu de la droite et de la gauche (il était obscurci par le clivage de "l’Est" et de "l’Ouest").

Éparpillement

Grosso modo, les électeurs sont dispersés en quatre grands groupes, eux-mêmes faiblement homogènes : extrême droite, droite gouvernementale, centre gauche et gauche, si l’on s’en tient aux étiquetages courants. Nul ne peut parler de "son" électorat, comme les communistes et les gaullistes pouvaient le faire, il y a quelques décennies. À proprement parler, il y a des électeurs, pas d’électorat. Dès lors, la situation se fait inextricable.

Comme sous la IVe République, l’éparpillement nourrit la tentation du centre : pour gagner, il faut isoler les "extrêmes" et donc agglomérer une partie de la droite et une partie de la gauche. C’était le rêve de François Mitterrand lors de la présidentielle de 1988. C’était le pari d’Alain Juppé au départ de la primaire de droite à l’automne 2016. Les électeurs de droite en ont décidé autrement, mais leur candidat est pour l’instant en panne. Le centre de gravité est donc passé du centre-droit désigné (Juppé) à un présumé centre-gauche (Macron).

Admettons provisoirement que la logique centriste fonctionne électoralement à l’occasion de la présidentielle. Le problème vient immédiatement après : pour gouverner, il faut une majorité stable de gouvernement, appuyée sur une majorité parlementaire durable. Or la IVe République a plutôt montré que, même si on le fait sortir par la porte, le clivage de la droite et de la gauche revient toujours par la fenêtre, à un moment ou à un autre. On peut, à la rigueur et par défaut, gagner au centre : on ne peut durablement gouverner qu’à droite ou à gauche. Ce n’est pas un hasard si, à peu près partout en Europe, les coalitions de type centriste finissent toujours par échouer. Le processus est plus ou moins rapide ; il n’en est pas moins inéluctable. De cet ensemble de constats, je tire pour ma part quatre conclusions provisoires.

Débats de société

La première est la suivante : si le sentiment grandit que le débat politique s’appauvrit, c’est que ce débat s’est éloigné des débats sur les projets de société. Un projet de société, ce n’est pas une question technique ; ce n’est pas d’abord un programme, même si la dimension programmatique n’est pas absente. Un projet, c’est une manière de "faire société" : des valeurs, une visée, des critères d’évaluation, une méthode. Que veut-on ? L’accumulation continue et prédatrice des biens, des marchandises et des profits ? Ou le développement économe des capacités humaines ? Le jeu de la concurrence, de la gouvernance et du choc des identités ? Ou l’équilibre de la mise en commun, de la démocratie d’implication et de la solidarité ? Un projet, c’est du concret et de la cohérence. Force est de constater que les préoccupations apparentes de la scène politique, obsédée par les "affaires" et les "petites phrases", ne vont guère dans ce sens.

La seconde conclusion coule de source : le déclin du clivage droite-gauche n’est pas une bonne nouvelle. Il a perdu de son sens, pour des millions de gens. À force de faire en gros la même chose une fois au pouvoir, la gauche et la droite ont érodé ce qui faisait leur force : la dispute sur l’égalité et la liberté. Les grands stratèges de la droite et de la gauche ont pensé que les batailles se gagnaient en divisant l’adversaire et en grappillant des voix à la marge.

Ils ont oublié que la lutte politique se joue dans la capacité à mobiliser les familles politique en leur noyau, et pas sur leur marge. Dans les années 1960 et 1970, le regain de participation électorale (notamment dans les catégories populaires) et la poussée de la gauche allaient dans la même direction, quand la gauche tout entière croyait à la transformation sociale. Depuis la fin des années 1970, la participation électorale recule continûment ; du coup, la force qui gagne (droite ou gauche) n’est plus celle qui gagne le plus, mais celle qui perd le moins. La politique perd de son sens social ; elle devient un jeu de stratèges. Fragilité démocratique…

De ce fait, la question des questions n’est pas de savoir qui peut le mieux parvenir au second tour. À gauche comme à droite, elle est plutôt de trouver ce qui peut le plus sûrement réactiver une logique à long terme de mobilisation des électeurs populaires. La droite, avec le Front national, a hélas un train d’avance. Si la gauche veut la rattraper, elle n’a qu’une solution : se demander ce qui peut, enfin, relancer le triptyque fondamental qui est sa raison d’être, celui de l’égalité, de la citoyenneté et de la solidarité.

[Lire aussi : "Gauche : choisir entre deux méthodes"]

La rupture, enfin

La troisième conclusion revient au point de départ : nous vivons ce qui est à la fois une crise politique et une crise de régime. La crise politique se surmonte par un travail obstiné sur les "fondamentaux", pour redonner du sens à ce qui l’a perdu. Il ne réussira pas sans un effort pour remettre à l’heure les pendules institutionnelles. La Ve République pensait avoir enfin trouvé l’eldorado constitutionnel. Elle voulait des majorités de mille ans ; elle est revenue à l’éparpillement de la IVe qu’elle vomissait.

En fait, il n’y a pas de mécano majoritaire institutionnel. Les majorités sont affaire de dynamique. Si l’on veut construire dans la durée, il n’y a pas de raccourci : il faut en passer par l’extension sans précédent de l’implication et de la souveraineté populaires. Une République d’un nouveau type est nécessaire, Sixième de nom, mais première par sa méthode : pas seulement la représentation, mais l’implication, pas seulement la sphère politique, mais l’ensemble du champ social. Sixième, première ? Dans tous les cas, la République sociale, enfin !

La quatrième conclusion concerne la gauche. Il ne sert à rien de faire comme si le constat le plus évident n’était pas d’une simplicité biblique et redoutable : la gauche française est affaiblie. Elle l’est, parce que depuis plus de trois décennies elle est dominée par les tentations d’un "réalisme" qui la pousse à composer avec la compétitivité, la flexibilité, la gouvernance et "l’ordre juste". Elle l’est, parce que, depuis plus de trois décennies, la place qu’occupait naguère le PCF à la gauche de la gauche s’est résorbée, sans que nulle autre ne s’impose à la place. Il faut donc toujours rêver d’une gauche rassemblée et populaire. Mais cela n’est possible que s’il s’agit d’une gauche qui fait reposer son esprit de responsabilité sur l’esprit de rupture. Ce n’est plus le cas depuis trop longtemps : cela doit le redevenir.

[Lire aussi : "Les faux-semblants de l’union"]

On peut donc toujours regretter que, face à la droite radicalisée, ne s’impose pas dès aujourd’hui une gauche ainsi rassemblée. Mais on ne surmonte pas l’état existant d’un coup de baguette magique. Un long processus de recomposition s’impose. Il devra se mener sans tarder, sans étroitesse, en usant de tout ce qui, dans la conjoncture, indique une possible marche en avant (par exemple la défaite de François Hollande et de Manuel Valls).

Dans l’immédiat, toutefois, la reconstruction passe, comme cela a été écrit dans ces colonnes, par un choix entre deux méthodes, incarnées par deux hommes, Hamon et Mélenchon. Il faut choisir, non pas pour éradiquer l’option que l’on ne retient pas, mais pour dire qui doit donner le ton, des tentations de l’adaptation ou de la volonté de rupture. Après tant d’années de marasme, il n’est plus temps de tergiverser.

Notes

[1À cet effet, l’enquête de référence sera celle d’Ipsos-Cevipof, qui a l’avantage d’être conduite en continu, par échantillons conséquents (12.000 personnes, dont plus de 8000 se déclarant « certaines d’aller voter »).

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