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Alternatives & Révolutions
20 janvier 2018

"CHEZ NOUS" film de Lucas BELVAUX - A VOIR A TOUT PRIX ! - Entretien du réalisateur à l'Humanité en février 2017 -

                        Lucas Belvaux :
« Le Front national aime une France morte »

 

Entretien réalisé par Dominique Widemann
Mercredi, 22 Février, 2017
L'Humanité
Catherine Jacob dans "Chez nous". Pour le cinéaste, «	c’est un parti qui se dit patriote mais qui déteste la France telle qu’elle est. » Photo : Jean-Claude Lother/Synecdoche/Artémis Productions
Catherine Jacob dans "Chez nous". Pour le cinéaste, « c’est un parti qui se dit patriote mais qui déteste la France telle qu’elle est. » Photo : Jean-Claude Lother/Synecdoche/Artémis Productions

Chez nous sort sur les écrans aujourd’hui. Le film raconte l’itinéraire de Pauline (Émilie Dequenne), infirmière dans le nord de la France, propulsée candidate pour le Bloc patriotique, le parti de l’extrême droite. Le cinéaste sonne l’alarme…

Vos films précédents restituent tous un point de vue sur la société actuelle par des approches plus ou moins obliques. Dans Chez nous, elle est frontale. Était-ce un parti pris de départ indispensable à ce film militant ?

Lucas BelvauxActeur et réalisateurLucas Belvaux Plutôt que militant, je préfère utiliser le terme engagé. Je ne dis pas pour qui il faut voter. De surcroît, le portrait que je dresse du Bloc, le parti d’extrême droite dans lequel on reconnaît bien sûr le Front national, est un portrait objectif. La frontalité s’est imposée dès l’écriture. Il ne faut plus tourner autour du pot. On a intégré le discours que cette extrême droite adresse aux cinéastes et plus largement aux milieux culturels en nous déniant le droit de parler du peuple au prétexte que nous en serions tellement éloignés. Cela participe des attaques contre la culture. Faute de la conquérir, droite et extrême droite tiennent ce discours idéologique qui vise à la marginaliser. Depuis la gauche au pouvoir dans les années 1980, la chute du mur de Berlin et ce que certains ont nommé la fin des idéologies, tout se délite. On voit des luttes fortes mais souvent éparses comme au printemps dernier contre la loi travail. J’ai réalisé Chez nous dans ce cadre.

Pensez-vous que le Front national prospère sur un échec de la gauche, du moins ceux de ses représentants qui détiennent des pouvoirs ?

Lucas Belvaux Oui on peut dire ça. Le film repose sur deux axes. D’une part, il s’agissait de dessiner le portrait le plus objectif possible du parti d’extrême droite, de ses méthodes, de son fonctionnement. D’autre part, il fallait montrer des gens qui peuvent faire partie de son électorat mouvant. Comme tous mes films, celui-ci est ancré dans un territoire et une histoire, celle d’une région traversée par deux guerres mondiales, des révolutions industrielles. Les habitants ont connu la dureté du travail, les stigmatisations. Leur histoire est celle du mouvement ouvrier depuis quelque cent cinquante ans. Le Front national a en face de lui dans ces régions du Nord une opposition de gauche divisée. Le vote FN me semble reposer sur cet échec et sur un discours raciste.

Le racisme est au cœur du film. Vous en montrez diverses expressions. Comment le voyez-vous ?

Lucas Belvaux C’est un néoracisme que le Front national a « modernisé ». Un racisme politique et culturel au sens où certaines « cultures » ne seraient pas compatibles avec la République. Et bien sûr il vient s’appuyer sur la misère sociale. Je ne voulais pas filmer la misère absolue. On voit aujourd’hui des enseignants, des policiers, des gens dans la peur du déclassement se rapprocher du Front national à partir de toutes sortes de questionnements. Et s’ils entrent dans le parti, alors intervient un véritable enfermement.

En quoi Pauline est-elle une proie idéale pour le parti d’extrême droite ?

Lucas Belvaux Cela tient à son histoire personnelle. On suppose qu’elle est née en 1982-83. La gauche est alors au pouvoir. Il va y avoir une déception et, me semble-t-il, une démission. La transmission ne s’est pas faite. Elle balance à son père communiste « vous avez gagné quoi ? ». Or, les organisations syndicales et politiques ouvrières ont gagné énormément de choses au cours des cent cinquante ans d’histoire que j’évoquais. Pauline ne met rien en perspective. Elle est infirmière, ce qui la confronte au quotidien à la souffrance d’autrui. Elle élève seule ses deux enfants. C’est un personnage qui sait créer une empathie. La fiction permet d’établir ces connexions entre l’intime, le familial et le social. Pauline est dans un flou politique. Elle fait partie de ces gens que leur métier place en première ligne. Ils s’usent aussi à force d’impuissance, à force de ne délivrer que des petits réconforts individuels. Les temps ne sont pas les mêmes du temps long du politique au temps très court de celui qui a faim.

Quelle est votre visée ?

Lucas Belvaux Le regard bienveillant que je porte, c’est le droit au respect de tout personnage. D’autres sont moins bien traités, mais je n’éprouve pas de haine. Il faut se montrer combatif et ne rien laisser passer. Le Front national est une formation raciste, antisémite. C’est un parti qui se dit patriote mais qui déteste la France telle qu’elle est, avec ses identités multiples. Ce qu’ils aiment, c’est une France morte. On peut évaluer à un tiers de leurs électeurs ceux que j’appelle « les électeurs de bonne foi ». C’est avec eux qu’il faut travailler. J’ai envie de leur dire « même si vous avez envie de “renverser la table”, voilà ce que vous cautionnez ». Ce n’est pas une question morale mais politique. Dans les salles où le film a déjà été projeté en avant-première, les « convaincus » forment certainement 80 % du public. Mais la contamination idéologique du FN est telle qu’elle pénètre toutes les couches de la société. Donc toutes sortes de gens connaissent quelqu’un dans leur entourage auprès de qui faire valoir des arguments et faire prendre connaissance de cette nébuleuse d’extrême droite, que beaucoup ignorent.

Vous rendez présent le programme du Front national par son absence. Comment cette prise de conscience contribue-t-elle à ce que Pauline revienne en arrière ?

Lucas Belvaux Elle se rend compte en effet qu’en réalité elle n’a aucune prise sur la politique qu’elle serait amenée à mener si elle était élue. Son mentor lui dit bien de ne pas s’en préoccuper puisque ce programme est le même partout. Pauline a une personnalité suffisamment forte pour en être énervée. D’autres arguments politiques, qu’ils viennent de son père ou de l’une de ses amies, avaient glissé sur elle parce qu’ils remettaient en cause son engagement personnel. Elle revient en arrière pour des raisons intimes. Cette mise en perspective qu’elle n’opérait pas au départ peut lui venir plus tard parce qu’elle est intelligente.

Vous représentez peu la dirigeante du Bloc, Agnès Dorgelle/Marine Le Pen. À certains moments, Catherine Jacob lui confère une artificialité de robot. Pourquoi ce choix ?

Lucas Belvaux Ce que l’on voit publiquement de Marine Le Pen est une fabrication. C’est d’ailleurs sa limite. On doit la fabriquer de toutes pièces avec de faibles nuances. J’ai travaillé sur cette image insincère. J’ai regardé d’autres dirigeants d’extrême droite en Europe. Ils sortent du même moule. Le récit national du FN est également une fiction. Le roman de la démocratie est forcément plus complexe. Nous avons besoin de vrais débats sur la nation. C’est une erreur politique et stratégique d’avoir trop souvent laissé cette question aux droites et extrêmes droites.

Dans vos films précédents, quelles que soient les situations que traversent les personnages, il y a des moments cocasses, des appels d’air… Ici, pas de marges ?

Lucas Belvaux S’agissant de l’extrême droite, rien ne me fait rire. Je n’ai pas envie de participer à sa banalisation. Le Bloc/FN n’est pas drôle. Peut-être vote-t-on pour eux parce qu’on rit moins ?

 

Journaliste rubrique Culture, Cinéma
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