En dénonçant l'accord sur le nucléaire iranien, le Président américain pratique la politique du pire.

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En dénonçant de la façon la plus dure qui soit l’accord sur le nucléaire iranien, Donald Trump a sans doute montré ses véritables intentions. Pour le Président américain, il ne s’agit pas seulement d’empêcher l’Iran d’accéder au nucléaire militaire, mais de déstabiliser le régime des mollahs. Il pratique pour cela la politique du pire. Il espère secrètement que Téhéran reprendra rapidement sa course à l’arme atomique pour justifier des frappes sur les sites sensibles, voir plus. Trump veut créer les conditions d’une confrontation directe. C’est sans doute ce qui a échappé à Emmanuel Macron dans sa vaine tentative de convaincre le Président américain de négocier une extension de l’accord de Vienne de 2015. Il n’y a pas de conditions qui puissent satisfaire Washington, parce que l’objectif véritable est l’affaiblissement, voire la chute du régime iranien, d’abord par l’aggravation des sanctions économiques et, in fine, par la guerre. L’ironie de l’histoire, c’est que le renforcement de l’influence iranienne dans la région doit beaucoup aux États-Unis. C’est en effet l’offensive de mars 2003 contre l’Irak qui a contribué à installer à Bagdad un gouvernement chiite pro-iranien. Par son intervention en Syrie, l’Iran a ensuite sauvé un régime qui lui est favorable.

Au total, en quinze ans, l’Iran est parvenu à établir une continuité territoriale de Téhéran à la Méditerranée. Et sa position s’est trouvée encore renforcée, le 6 mai, par le succès du Hezbollah et de ses alliés du mouvement chiite Amal aux élections législatives au Liban. Ces gains d’influence expliquent en partie la violence de la guerre livrée au Yémen par l’Arabie saoudite, avec des armes occidentales, contre les rebelles houthis pro-Iraniens. Pour les États-Unis, c’est une puissance régionale en pleine expansion qu’il faut d’urgence briser. Il y a donc un abîme entre Washington et les autres signataires de l’accord de Vienne. Les Européens, les Russes et les Chinois défendent un texte spécifiquement destiné à la question nucléaire. Pour les États-Unis, il s’agit d’une remise en cause globale de l’influence iranienne au Moyen-Orient. C’est aussi la stratégie de l’Arabie saoudite et d’Israël.

Cette affaire démontre une fois encore le poids du lobby pro-israélien sur la politique américaine. La droite israélienne rêve depuis plusieurs années déjà d’entraîner les États-Unis dans une guerre contre l’Iran. Israël se chargerait alors de mener une offensive de grande envergure sur le Liban pour détruire le potentiel militaire du Hezbollah. La plupart des raids conduits par l’aviation israélienne au cours des derniers mois en Syrie y préparaient en visant significativement le Hezbollah ou des milices iraniennes. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, et les colons ont fait, mardi, un pas vers leur objectif d’un embrasement généralisé de la région. On ne dira jamais assez que le but est d’anéantir toutes les forces qui pourraient potentiellement faire obstacle à la liquidation, au moins politique, de la question palestinienne. Ce sont ces stratégies mortifères qui se dessinent derrière la décision de Donald Trump.

Pour l’heure, l’une des inconnues de la situation nouvellement créée est la capacité de résistance des Européens. Federica Mogherini, la responsable italienne de la diplomatie européenne, a affirmé mardi que la communauté internationale continuerait d’appliquer l’accord. Mais cette affirmation de principe risque de trouver rapidement ses limites. Les Européens résisteraient-ils longtemps si Washington appliquait des sanctions aux entreprises non-américaines qui continueraient d’intervenir en Iran ? On peut en douter. Et surtout, les Européens, à l’instar de la France, disent vouloir poser à l’Iran de nouvelles conditions au prétexte de sauver l’accord. C’est la position d’Emmanuel Macron (voir notre éditorial dans Politis n°1500). L’étau se resserrerait alors un peu plus sur l’Iran. Le Président iranien, Hassan Rohani, tente pour l’instant de déjouer le piège qui lui est tendu. Il a indiqué qu’il n’entendait pas relancer immédiatement l’enrichissement de l’uranium, afin de sauver l’accord de Vienne. Mais de nouvelles conditions posées par les Européens rendraient rapidement sa position intenable. Certes, le pire n’est jamais sûr, mais Donald Trump et ses alliés israéliens et saoudiens nous en rapprochent dangereusement.