«Qui a le pouvoir ? Qui gouverne ?» Pour justifier son spectaculaire retrait, Nicolas Hulot a dénoncé «la présence des lobbys dans les cercles du pouvoir». Il avait encore pu le vérifier la veille, retrouvant le lobbyiste pro-chasse Thierry Coste dans le bureau du chef de l’Etat. Pour l’ancien numéro 3 du gouvernement, il était temps de «poser sur la table» ce sujet qui constitue, selon lui, «un problème de démocratie».

Nicolas Hulot n’est pas le premier à pointer les adversaires occultes qui auraient entravé son action, et précipité son départ. Après son éviction du ministère de l’Ecologie - déjà - en juillet 2013, la socialiste Delphine Batho avait elle aussi dénoncé ces «forces» qui «ne se sont pas cachées de vouloir [sa] tête», n’acceptant pas «le niveau d’ambition qu’[elle fixait] pour la transition énergétique». Référence à un lobby énergétique particulièrement actif contre la perspective d’une sortie du nucléaire, et pour l’exploitation du gaz de schiste. Ministre du Logement au même moment, Cécile Duflot avait, elle, dénoncé les lobbys immobiliers qui tentaient alors de torpiller sa future loi Alur et, en particulier, sa mesure d’encadrement des loyers.

Pro-business

A la fin du quinquennat Hollande, nombre de collaborateurs ministériels ont été immédiatement débauchés par le secteur privé : «La moitié d’entre nous a été approchée par Philip Morris», témoigne l’un d’eux auprès de Libération. Ces profils intéressent les grandes entreprises pour leur connaissance de la mécanique parlementaire, et des moyens d’agir sur elle. Sherpa de François Hollande sur les questions économiques et financières, Laurence Boone est par exemple repartie en 2016 vers Axa. Le conseiller industrie, Julien Pouget, est allé vers Total. De quoi donner un peu plus de crédit à la perméabilité entre décideurs publics et intérêts privés.

Le sujet n’épargne pas le «nouveau monde» macronien avec un couple exécutif furieusement pro-business. Parmi leurs nombreux collaborateurs passés par le secteur privé - à l’Elysée, c’est le cas d’une vingtaine d’entre eux - se trouvent d’authentiques ex-lobbyistes. A l’image d’Audrey Bourolleau, qui dirigea Vin et Société, un organisme d’influence du monde viticole, avant de conseiller le chef de l’Etat sur les questions agricoles. Autre exemple : la conseillère diplomatique Moyen-Orient, Ahlem Gharbi, vient directement de Total, où elle était directrice déléguée pour les affaires internationales, déjà chargée de l’Afrique et du Moyen-Orient. Total qui est d’ailleurs à ses aises à l’Elysée, car le conseiller énergie de Macron, Thibaud Normand, a fait ses armes dans une filiale qatarie du groupe pétrolier français.

Durant la campagne, déjà, le candidat Macron avait dû se séparer de l’un de ses conseillers santé, le cardiologue Jean-Jacques Mourad, auteur de nombreuses prestations auprès des laboratoires Servier. Et en juillet 2017, le Canard enchaîné avait révélé le savoureux message que Mathieu Laine, proche de Macron et dirigeant du cabinet de conseil Altermind, adressait à plusieurs de ses clients pour leur confirmer que l’ISF serait supprimé sans délai : «J’ai bataillé comme un fou […], je viens de recevoir un message d’Emmanuel me confirmant que le programme sera appliqué à la lettre. […] On a gagné ! Il est génial !»

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Au lendemain du départ de Nicolas Hulot, sa bête noire Thierry Coste ne fait rien, au contraire, pour dissiper le soupçon de collusion. «Macron, il aime bien les lobbys, il assume», claironne auprès de Libération l’avocat des chasseurs, se prévalant de sa «complicité amicale» avec le Président : «On plaisante, c’est cool. Nous voir comme ça, je pense que ça a déstabilisé Hulot. Etait-il jaloux ? Peut-être.» Et de poursuivre : «Moi, ça me choque pas de fournir des amendements clés en main aux députés. Parce que le parlementaire, bien souvent, il n’a pas une forte capacité d’expertise.»

Grands patrons

A l’Elysée, on conteste formellement agir sous influence. «Pour éclairer la décision du gouvernement sur le nucléaire, on parle aussi bien avec Areva qu’avec les associations anti-nucléaire», explique la conseillère presse de Macron, Sibeth Ndiaye, qui se souvient d’avoir vu passer de grands patrons, venus faire valoir leur point de vue à Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif auprès de qui elle officiait à l’époque. «L’important, c’est que l’arbitrage se fasse au nom de l’intérêt général.»