Résistante, rescapée des camps, la cinéaste décédée mardi fut une conscience centrale de la mémoire des déportés ainsi qu'une militante de gauche.

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Née en 1928 dans une famille de juifs polonais émigrés en France, Marceline Rozenberg, jeune résistante, fut déportée à Auschwitz en 1944, où elle rencontra Simone Veil, sa grande amie. Décédée mardi 18 septembre, elle n’a cessé de témoigner de l’enfer des camps nazis, mais aussi de ses engagements à gauche, notamment comme porteuse de valises pour le FLN durant la guerre d’Algérie.

Elle en rendit compte au micro de Laure Adler sur France Inter l’an dernier : « Au retour des camps, la Libération ne fut pas synonyme de liberté. » Au retour de Therensienstadt (Terezin en tchèque) libéré par l’Armée rouge le 10 mai 1945, le dernier camp de concentration nazi qu’elle eut à subir, après ceux d’Auschwitz et de Bergen-Belsen, Marceline Rozenberg rentre en France et retrouve sa mère, son père arrêté et déporté avec elle ayant péri à Auschwitz. Les rapports sont compliqués avec cette mère qui ne prend pas bien conscience de ce qu’elle a traversé, mais Marceline se trouve surtout face à l’impossibilité de parler, de raconter, comme tous les déportés juifs rescapés de la Shoah, seuls les résistants politiques déportés ayant alors la parole.

Elle fréquente le Paris de Saint-Germain-des-Prés, a de multiples aventures amoureuses – même si elle se refuse à un jeune écrivain, inconnu alors, Georges Perec, lui-même fils de déportés disparus, qui voit en elle essentiellement la rescapée des camps. Elle épouse alors Francis Loridan, jeune ingénieur de travaux publics travaillant souvent sur des chantiers lointains. L’éloignement et des différences tenaces font que ce mariage ne dure pas même si, au moment du divorce, Francis accepte qu’elle conserve son nom de femme mariée.

Porteuse de valises

Militante de gauche, brièvement membre du PCF auquel elle adhère en 1955 mais qu’elle quitte l’année suivante suite à l’invasion répressive de la Hongrie par les troupes du pacte de Varsovie, elle s’engage auprès des réseaux qui aident le FLN clandestin en métropole et devient ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui une « porteuse de valises » du réseau Jeanson pour les indépendantistes algériens en pleine guerre d’Algérie, conflit qui ne dit pas son nom alors. Mais c’est Jean Rouch et Edgar Morin qui la font entrer peu à peu dans le monde du cinéma, en participant à leur film Chronique d’un été (1961), l’un des tout premiers films sur la déportation durant la Seconde Guerre mondiale, dans lequel elle récite un long monologue sur la place de la Concorde. Elle rencontre alors le cinéaste militant néerlandais Joris Ivens, qu’elle épouse en 1963. Elle parcourt bientôt le monde avec lui, réalisant ensemble des films sur la Chine de Mao en pleine Révolution culturelle ou auprès d’Hô Chi Minh dans un Vietnam encore en guerre. Certains lui ont d’ailleurs reproché son aveuglement, en tant qu’ancienne victime du totalitarisme nazi, vis-à-vis du régime maoïste…

Elle demeure une conscience centrale de la mémoire des déportés, en particulier d’Auschwitz, où elle avait fait la connaissance et était devenue la meilleure amie de Simone Veil, déportée dans le même convoi depuis Drancy. Inlassable passeuse de la tragédie de la Shoah et conférencière dans les écoles sur celle-ci, ses ouvrages, écrits pour la plupart durant les dernières années de sa vie, sont des documents centraux pour connaître son parcours et l’enfer des camps. Outre son très émouvant film avec Anouk Aimée sur le sujet intitulé La Petite Prairie aux bouleaux (traduction du terme polonais Brzezinka, que les nazis avaient germanisé en Birkenau), il faut en particulier citer ses deux derniers livres, absolument bouleversants, co-écrit avec la journaliste de Libération Judith Perrignon : Et tu n’es pas revenu (Grasset, 2015) et surtout L’amour, après (Grasset, 2018).

Personnalité très attachante (1), l’une de ses dernières apparitions publiques eut lieu lors de la cérémonie de panthéonisation de sa camarade Simone Veil (et son mari Antoine Veil) le 1er juillet, où elle figurait au premier rang à côté des enfants de l’ancienne ministre de la Santé. La voix de Marceline Loridan-Ivens manquera assurément à tous ceux qui veulent mieux connaître la violence du XXe siècle et en particulier la destruction des Juifs d’Europe par les nazis.

(1) Nous l’avions rencontrée pour Politis, Jean-Claude Renard et moi-même, Olivier Doubre, à l’occasion de la sortie d’un coffret de ses cinq films sur la Chine maoïste, co-réalisés avec Joris Ivens, édité par Arte éditions. À lire ici.