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Alternatives & Révolutions
14 octobre 2015

Les intellectuels, la violence et l'air (en)

Les intellectuels, la violence et l'air (en) France

 

 

Ces temps-ci, deux mots résonnent plus que de raison. Le premier est un pluriel très singulier en notre étrange pays : les intellectuels. Le second est un singulier qui induit souvent le pluriel : la violence. Le pouvoir de convocation de ces deux termes paraît à son comble.

Mais leur définition toujours semble se perdre, derrière la muraille immense du brouillard.

Qu’est-ce qu’un intellectuel ? Un chercheur et un passeur. Un producteur de savoir doublé d’un pouvoir d’influence. Comme le fut Michel Foucault, que l’on trouvait de bon matin à la bibliothèque du Saulchoir (chez les dominicains du XIIIearrondissement de Paris). L’après-midi venu, il battait le pavé, entre République et Bastille, au beau milieu d’une manif contre la condition faite aux prisonniers. La prise de position venait toujours après l’étude.

Aujourd’hui, pontifient des flemmards. Tels historiens ne mettant plus les pieds aux archives, tels philosophes baignant dans le sens commun, tels journalistes incapables de la moindre enquête. Bref, des endormis qui prétendent nous éveiller à coups de ronflantes homélies.

L’intelligence privée du travail de l’esprit n’est qu’une sale manie, ô passeurs de rien, vecteurs de vide, transmetteurs de néant ! Votre paresse vous a coupés du peuple, qui refuse d’être guidé par le triomphe de l’imposture. Votre fumisterie aura légitimé l’anti-intellectualisme, qui signale toujours la démagogie répressive à venir. Vos cerveaux flapis auront fait le lit du muscle impérieux.

George Orwell avait prévenu : « Et si l’homme mourait en même temps que son cerveau, à partir du moment où il n’a plus la possibilité d’émettre une idée neuve ?... »

Les radoteurs sont des trépassés de la pensée qu’on croit vivants. Concomitamment – et ce fut un puissant télescopage –, deux surintendants (on dit DRH) d’Air France furent mis à nu. Chemise lacérée. Vivants mais morts de peur. « Lynchés », répétèrent les commentateurs, usant à tort d’un verbe qui désigne un meurtre collectif.

Foule syndicale : « Il faut voir comme on nous parle, comme on nous parle. »

Des employés désespérés résistant à la « force brutale exercée pour soumettre » (définition même de la violence), furent donc présentés comme le despotisme assassin en marche. Arrière les sans-culottes !

La République française, fondée sur 1789, répudiait la prise de la Bastille. Sus au moindre élan mutin ! Il ne peut plus y avoir de révolution puisque celle-ci a déjà eu lieu : toute sédition devient donc une contre-révolution. Telle était la dialectique en vigueur dans le glacis soviétique, promis à l’effondrement pour adopter ce raisonnement infatué d’immobilisme.

France, terre des arts du cirque médiatique, des armes de la propagande et des lois de la mise en récit (storytelling). « Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau », ironisait Joachim du Bellay au dernier vers de son sonnet.

Le pire du troupeau a une fois de plus surgi en exploités osant tenir tête ; au point de passer pour dictature du prolétariat ayant recours à la violence théorisée par Lénine voilà 110 ans (Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique, Genève 1905).

Et si le pire du troupeau s’avérait plutôt cette cohorte de piliers du café du commerce dévidant et filant leurs brèves de comptoir jusqu’à faire figure d’intellectuels organiques de droite, compagnons de route de la réaction, ciment enfin assumé de l’hégémonie culturelle ?...

Notre pays, aussi déboussolé que faisandé, décline en déclinant deux mots flous à lier : intellectuels et violence.

Écoutons le verbe qui se fait chair de poule. C’est le chant des sirènes ayant perdu le nord. C’est la France prise au mot, telle une bécasse prise au piège qui lui était tendu…

(Chronique diffusée sur France Culture dimanche 11 octobre 2015 à 12h45)

 

 

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