Le premier congrès de Podemos, en 2014, avait formalisé la création du parti. À l’époque, l’objectif était simple : mener une guerre éclair et réaliser les meilleurs scores possibles lors des élections municipales, régionales et législatives. Pour y parvenir, le parti devenait un outil très vertical, national, avec un homme fort à sa tête. L’inverse de la promesse du printemps 2011. La "blitzkrieg" a finalement duré jusqu’à juin 2016, et l’abdication du PSOE devant le PP. Il avait manqué 300.000 voix à Podemos pour dépasser les socialistes.
Désormais, un temps long s’installe en Espagne. Podemos n’est pas "en crise", comme ont pu l’écrire de nombreux médias : Podemos est en congrès. Et, comme pour n’importe quel congrès, des sensibilités politiques, des stratégies divergentes, s’affrontent et le rapport de forces définit la ligne du parti.
« Unité ! », voilà le cri lancé par les podemistas aux dirigeants du parti, à l’ouverture du congrès. Et l’unité se fera donc, encore, derrière Pablo Iglesias. Sur plus de 155.000 votants, Iglesias est réélu secrétaire général (89% des voix) et sa liste composera l’exécutif du parti à hauteur de 37 membres (60% des postes, soit 50,8% des voix, contre 36% pour Íñigo Errejón – 33,7% des voix – et 3% pour Anticapitalistas avec 13,1% des voix). On est très loin du 40/40% pronostiqué… Le numéro 2 du parti devient Pablo Echenique, une figure de l’aile gauche de Podemos, élu devant Errejón, pour qui l’échec est cuisant.
À noter que Pablo Iglesias avait réalisé un petit chantage : si sa liste n’était pas majoritaire, mais qu’il était quand même élu secrétaire général, il démissionnerait. Son objectif était clair : que sa ligne soit dominante dans tout l’appareil. C’est chose faite. Après sa victoire, son mot d’ordre était : « Unité et humilité ».
Podemos, ce sont principalement trois forces en présence, incarnées à l’occasion de ce congrès par Pablo Iglesias, Íñigo Errejón et Miguel Urbán (Anticapitalistas).
Les "pablistes" défendent le radicalisme de Podemos, le "nous" peuple contre le "eux" caste, faisant table rase des drapeaux rouges et de l’Internationale. Iglesias se positionne contre le schéma gauche-droite, afin de remplacer les vieux partis (PSOE et IU) et de « prendre d’assaut » les institutions. Pourtant, il a été tenté d’ouvrir Podemos. Ainsi a-t-on vu l’alliance avec Izquierda Unida (IU), puis fleurir de nouveaux termes, comme « patrie ».
Pour Íñigo Errejón, il faut ouvrir Podemos à « ceux qui manquent » (pour gagner). Il prône un « mouvement populaire », un « populisme de gauche » concentré vers les classes populaires et représenté dans les institutions. Mais pour cela, Errejón est aussi celui qui tend la main au PSOE. Et avec une social-démocratie espagnole en crise, impossible de négocier avec le PSOE, d’autant qu’un présupposé à toute négociation portait sur un grand pacte Ciudadanos-PSOE-Podemos. En somme, une gauche de droite ou rien.
Côté anticapitalistes, on penche pour une décentralisation de Podemos, tant sur le plan idéologique (très démocratiste), que pratique avec la mise en avant des nombreux embranchements locaux, loin des institutions nationales. Ils proposent, par exemple, que Podemos n’est pas de secrétaire général. Bien évidemment, les "anticapis" sont opposés à toute alliance avec le PSOE. D’ailleurs, à choisir entre les deux champions, ce sera… Iglesias.
L’heure est au bilan. Fallait-il s’associer aux communistes d’IU ? Fallait-il en faire plus pour s’allier au PSOE ? Ne valait-il pas mieux être radical jusqu’au bout, en ne visant que l’hégémonie ? Au moins, les militants ont-ils tranché.
L’alliance électorale avec IU n’a pas payé. Pire, les deux partis avaient perdu, avec ce mariage d’un scrutin, un million de suffrages. Même si les derniers sondages leur donnent (encore) raison… Et pire aussi, ce schéma avait placé Iglesias dans le rôle du social-démocrate. Là encore, Podemos s’inscrivait dans des règles politiques préétablies, loin de ses idéaux de « renverser la table ». Mais ce week-end, en confirmant Pablo Iglesias, les militants donnent leur préférence à ce choix de la gauche plutôt qu’à la transversalité vers le centre d’Errejón.
Car ce qui avait perdu Podemos, c’était le flou stratégique. À hésiter, Podemos a perdu, ou du moins n’a pas gagné. L’important va dorénavant être de rester fidèle à une ligne et de s’y tenir sur la durée, sans procéder à une épuration fratricide, redoutée aujourd’hui. Sinon, comme l’écrivait Josep Maria Antentas : « Les contradictions et les modifications permanentes des messages renforcent en fin de compte la perception de Podemos comme étant une force ayant des principes instables, fugaces qui adapte son discours aux variations de l’opinion publique ». Les clarifications du congrès suffiront-elles, ou va-t-on assister à un schisme à Podemos ? Ou pire, faut-il que Podemos devienne un parti comme les autres ?