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Alternatives & Révolutions
11 mars 2018

TSIPRAS VA-T-IL " S'EN SORTIR " ? ET SURTOUT A QUEL(S) PRIX ? ...

Par Fabien Perrier | 10 mars 2018

Grèce : le bilan discuté du gouvernement Tsipras

 

Alors que l’économie grecque affiche de meilleurs résultats, la situation sociale reste critique. Près de trois ans après le mémorandum de juillet 2015, Alexis Tsipras a-t-il trahi ses idées ou obtenu le meilleur compromis possible ?

« La Grèce est de retour ! », a lancé Alexis Tsipras, le premier ministre grec issu de Syriza (parti de la gauche grecque), vendredi 2 mars au Forum économique de Delphes. À ce "Davos des Balkans", le parterre de dirigeants économiques et politiques n’était pas vraiment acquis à sa cause.

Mais le chef du gouvernement a poursuivi : « La Grèce est passée en 2017 de la récession à la croissance. Le taux est estimé supérieur à 2% pour 2018 comme pour les prochaines années. Le chômage, en trois ans, a chuté de 7% et la tendance est à la baisse ». Le lundi 5 mars, l’Autorité grecque des statistiques (Elstat), confirmait ce propos : en 2017, le Produit intérieur brut (PIB) national a progressé de 1,4% après une récession inédite de huit ans.

« Nous sommes à gauche en pratique, pas seulement en paroles »

Ce retour de la Grèce, Alexis Tsipras l’avait déjà invoqué le 14 février. « Nous sommes plus à gauche que Mélenchon, a déclaré le leader grec. Nous, nous sommes à gauche en pratique, pas seulement en paroles. Nous avons créé plus de 300.000 emplois depuis 2015 (...) Greece is back. Notre obsession n’est pas de revenir à l’époque où les gouvernements ne pensaient qu’à dépenser plus, mais de créer plus d’emplois. »

Esquisse de bilan, donc, en réponse à Jean-Luc Mélenchon et au Parti de gauche qui, le 31 janvier, avaient réclamé dans un communiqué que Syriza soit exclu du Parti de la gauche européenne (PGE). « Pour le PG, comme sans nul doute beaucoup d’autres partis du PGE, il est en effet devenu impossible de côtoyer, dans un même mouvement, Syriza d’Alexis Tsipras. ». Et d’ajouter que le premier ministre grec poussait « sa logique austéritaire jusqu’à limiter le droit de grève, répondant ainsi toujours plus servilement au diktat de la commission européenne ». Quel est le prix social, politique et idéologique de cette évolution de la Grèce, interrogeait en substance le chef de file de la France insoumise…

Cette question est aussi posée en Grèce où Alexis Tsipras est controversé. Par son opposition parlementaire, la Nouvelle démocratie (droite) et le Pasok (social-démocrate), d’abord. Ces deux partis se sont partagés le pouvoir depuis la chute de la dictature des colonels, en 1974 ; ils n’ont toujours pas pardonné à Syriza et à son leader d’avoir conquis la majorité en 2015.

À gauche de Syriza, le KKE, parti communiste particulièrement dogmatique, a d’emblée refusé toute alliance. Il continue d’affirmer que la seule voie possible est la sortie de l’Union Européenne. Unité populaire – qui regroupe notamment Panayotis Lafazanis, Christos Issychos... et d’autres figures phares de Synaspismos, un des ancêtres de Syriza – a comme ligne la critique radicale des mesures prises en Grèce.

« Tsipras n’a pas épousé le néolibéralisme »

Il en est de même avec Cap vers la liberté, le mouvement créé par Zoe Konstantopoulou, présidente du Parlement grec entre janvier et septembre 2015. Enfin, Yannis Varoufakis, qui fut ministre des Finances entre janvier et juillet 2015, dénonce aussi l’orientation du gouvernement et devrait présenter des listes aux élections européennes de 2019 avec son mouvement Diem 25.

Malgré leurs divergences actuelles, ils critiquent tous la signature par Alexis Tsipras, le 13 juillet 2015, d’un troisième mémorandum, c’est-à-dire un accord de prêt entre la Grèce et ses créanciers (UE et BCE) en échange de mesures d’austérité à appliquer. Il s’ensuivit une rupture au sein de la "coalition de la gauche radicale". Car les scissionnistes avaient une conviction : la force de la Grèce était les résultats du référendum du 6 juillet. Les Grecs avaient alors voté à plus de 61% contre un nouveau mémorandum et une politique de mise sous tutelle du pays par les créanciers.

Malgré tout, Alexis Tsipras est rentré avec, dans ses bagages, un nouvel accord... qu’il a demandé aux députés de voter. « Nous ne pensons pas que ce soit un changement idéologique d’Alexis Tsipras. Il n’a pas épousé le néolibéralisme. Mais c’est le résultat d’un rapport de forces au détriment d’un petit pays dans un UE très majoritairement menée par les libéraux et les conservateurs, allemands notamment », explique à Regards Anne Sabourin, en charge de la politique européenne du PCF et représentante de ce parti au PGE.

Christos Kanellopoulos, membre du département international de Syriza, partage ce point de vue : « Un gouvernement de gauche ne peut pas réussir seul surtout si son pays est petit et au bord de la faillite ». Il ajoute qu’en outre, le gouvernement a dû affronter « l’obstruction des institutions étatiques et de l’oligarchie ». Le gouvernement issu de Syriza et allié au petit parti de droite souverainiste des Grecs indépendants s’est donc retrouvé isolé sur les scènes européenne et nationale. Aux yeux de Christos Kanellopoulos, ce sont là les principaux éléments explicatifs de la « défaite » qu’incarne la signature du mémorandum.

« Bien sûr, Alexis Tsipras va s’en sortir »

Reste qu’en septembre 2015, Alexis Tsipras a provoqué des élections et demandé aux électeurs de soutenir sa stratégie : le vote en faveur du moins pire des accords qu’il a pu obtenir, l’application des réformes exigées, le développement d’un "programme parallèle" comportant des mesures sociales pour les plus démunis, et une sortie des mémorandums en août 2018, date à partir de laquelle il espère appliquer sa propre politique. Syriza les remporte avec un score sensiblement identique à celui de janvier, mais avec un nombre d’électeurs moindre.

Depuis, Alexis Tsipras et son gouvernement suivent la voie promise. La stratégie de la signature s’avérera-t-elle gagnante ? Christos Kanellopoulos veut y croire : « Alexis Tsipras est l’un des meilleurs stratèges et tacticiens en Europe. Il a même réussi à diviser ND ».

« Bien sûr, Alexis Tsipras va s’en sortir », admet Yannis Albanis. Ancien membre de Syriza et du bureau de presse d’Alexis Tsipras, y compris pendant le premier semestre 2015, il s’interroge toutefois sur le prix que Syriza et son leader ont payé « pour survivre ». Pour lui, un « nouveau système de partis a émergé en Grèce : il repose sur Syriza et ND ». Mais c’est sur fond de hausse de la désaffection politique, d’une part, et d’une perte de tout espoir. En cause ? La situation sociale en Grèce, notamment.

Dans ses discours, Alexis Tsipras répète deux faits : le chômage est en baisse et les indicateurs macro-économiques sont meilleurs. Sauf que ce gouvernement est celui qui a dû faire passer de nouvelles baisses des pensions, des hausses des taxes, des privatisations et même la limitation du droit de grève quand les précédents avaient déjà aboli les conventions collectives, baissé le salaire minimum de 22% (520 euros désormais) et de 32% pour les jeunes de moins de 25 ans, réduit les indemnités de licenciement, ou encore libéralisé les licenciements collectifs. Autant de politiques sur lesquelles Syriza avait promis de revenir.

« Il n’y a plus d’espoir dans le pays »

En outre, si le chômage est passé de 25% en 2015 à 21% aujourd’hui, cette diminution s’est faite « au prix de la flexibilisation et de la précarisation », selon Savas Robolis, Professeur d’économie émérite à l’Université Panteion. En Grèce, un travailleur sur cinq n’est pas déclaré́ du tout et 200.000, au moins, travaillent à plein temps, alors qu’ils sont déclarés à temps partiel auprès du ministère du Travail. 300.000 autres travailleurs sont embauchés comme indépendants et doivent donc s’acquitter eux-mêmes de leurs cotisations sociales.

Plus de 50% des nouvelles embauches se font à temps partiel. Enfin, ils sont nombreux à ne travailler qu’une ou quelques heures par semaine, et, comme partout dans l’UE, à être exclus des statistiques officielles. Selon Yannis Albanis, « en Attique, un tiers des salariés gagnent moins que l’indemnité chômage ». Dans ce contexte, la pauvreté se maintient à un niveau élevé – alors que le seuil de pauvreté a baissé depuis 2010.

Sur le plan macroéconomique aussi, les indicateurs masquent des contradictions. À deux reprises, la Grèce a réussi son retour sur les marchés. Elle semble donc regagner la confiance des investisseurs. En outre, le pays a renoué avec la croissance. Cependant, il avait perdu près d’un quart de PIB entre 2010 et 2015. Au rythme actuel, il faudra donc plusieurs décennies pour arriver au niveau de production de 2010. Les exportations sont en hausse, mais les importations aussi. La balance commerciale du pays reste donc déficitaire.

« Il n’y a plus d’espoir dans le pays », estime Yannis Albanis. Pour lui, la société est marquée par « un sentiment d’amertume et un pessimisme personnel et collectif ». Christos Kanellopoulos affirme, de son côté, que dès la sortie du mémorandum, « la priorité sera le marché du travail » – c’est-à-dire une politique aux impacts directs sur la population.

Mais Alexis Tsipras aura-t-il les mains libres ? À micro-fermé, des hauts fonctionnaires européens le reconnaissent : « Ce gouvernement sera, plus que tout autre, scruté quand il aura recouvré son autonomie ». À Delphes, deux représentants des institutions européennes, Klaus Regling et Dan Castello, allaient encore plus loin : l’UE surveillera de près la Grèce et son gouvernement. Sans mémorandum, mais avec des consignes claires à respecter.

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