Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Alternatives & Révolutions
14 février 2017

Dans les abattoirs, la condition humaine est aussi indigne que la condition animale! "Steak machine" livre de G. Le Guilcher

Les INROCKS

 

 

“Steak Machine” : une édifiante immersion de 40 jours
                                 dans un abattoir
03/02/2017 
Juillet 2016, dans un abattoir de l'Est de la France (Frederick Florin / AFP)

Le journaliste indépendant Geoffrey Le Guilcher publie une enquête édifiante, “Steak Machine” (éd. Goutte d’Or), après avoir passé quarante jours dans un abattoir breton.

“Qui se soucie des damnés de la viande ?” Cette question rhétorique croisée dans Steak Machine (éd. Goutte d’Or) résume à elle seule l’ambition principale de ce livre : révéler le quotidien des ouvriers qui travaillent dans des abattoirs industriels. Pour le faire de manière authentique – sans filtre, donc – le journaliste indépendant Geoffrey Le Guilcher (qui a travaillé aux Inrocks pendant trois ans) a employé le seul moyen qui s’y prête : se faire embaucher dans l’un d’entre eux – rebaptisé Mercure –, en Bretagne, sous une fausse identité. Il a donc vécu pendant quarante jours, à l’été 2016, dans les mêmes conditions que tous les forçats du steak. Ses observations, d’abord consignées dans un carnet puis retranscrites dans Steak Machine avec la force singulière du récit à la première personne, sont édifiantes.

“On fait du 63 vaches à l’heure quand on est au taquet”

Les vidéos de l’association L214 ont révélé au grand jour les actes de cruauté envers les animaux perpétrés en toute opacité dans plusieurs abattoirs industriels. Mais elles n’ont pas documenté le quotidien des serial killers d’animaux, ces humains en chair et en os qu’aucun robot ne peut remplacer. Steak Machine explore leurs conditions de vie à hauteur de couteaux, dans un site gigantesque (2 000 salariés) situé en Bretagne, caché des regards indiscrets par une grande forêt et dont l’épicentre – “la tuerie”, comme on la nomme dans le jargon – est dissimulé par un mur.

Geoffrey Le Guilcher démontre ainsi que la condition humaine est aussi indigne dans les abattoirs que la condition animale. Et que le nœud du système réside dans un mot : la cadence.

“On fait du 63 vaches à l’heure quand on est au taquet, mais la norme, c’est plutôt 55”, lui explique ainsi son collègue Rémi, 23 ans.

“Des hommes et des femmes cassés physiquement et moralement”

Les résultats son patents, et marquent les corps et les esprits : tendinites, hernies discales, cauchemars, crampes, troubles musculo-squelettiques… Et tout ne passe bien évidemment pas en maladie professionnelle, certains directeurs allant jusqu’à nier la responsabilité du travail dans certaines blessures. L’un des collègues éphémères de l’auteur résume ironiquement la situation :

“T’es fossoyeur, tu te mets à côté d’un champ de bataille. T’es kiné, tu te mets à côté de Mercure”.

Apprivoiser la douleur, tel est le secret, lui expliquent ses compagnons de route : “Si tu bois pas, que tu fumes pas, que tu te drogues pas, tu tiens pas à Mercure, tu craques”, lui assène ainsi Kevin. Cette dure réalité a mis longtemps à percer dans le débat public. La faute au déni général, au manque d’intérêt, et aux précautions des directeurs d’abattoirs. Ainsi le député radical de gauche Olivier Falorni, président de la commission parlementaire sur les abattoirs, confie à l’auteur :

“A une période où on dit que la classe ouvrière a disparu, ça a été un choc pour moi de découvrir que les ouvriers d’abattoir sont des hommes et des femmes cassés physiquement et moralement. On a auditionné des gens qui faisaient des cauchemars la nuit et voyaient des êtres humains pendus à des crochets”.

Des “hommes crabes” pris dans un système

Geoffrey Le Guilcher révèle ainsi l’existence d’un rapport scientifique “Santé et travail dans l’industrie de la viande” (Stivab), qui devait être publié en 2004 mais qui a été étouffé sciemment par les industries de la viande. L’un de ses protagonistes, Sandro de Gasparo, résume : “En gros, d’une étude lancée pour comprendre pourquoi autant de salariés partaient, on en est venu à expliquer dans quelles conditions extrêmes les autres restaient. Ça a braqué”.

Steak Machine, immersion poignante et lucide dans le monde des “hommes-crabes” (l’auteur les appelle ainsi en raison de leurs avant-bras sur-développés), participe de manière précise et efficace à la prise de conscience du problème du traitement indigne des animaux, indissociable de celui des hommes. “L’ouvrier est le seul à vivre toute la journée au cœur du mensonge. Soit il devient violent contre ces animaux, qui refusent de lui faciliter une tâche déjà pénible, soit il s’habitue'”, conclut l’auteur. Qui est devenu flexitarien.

Steak Machine, de Geoffrey Le Guilcher, éd. Goutte d’Or, 170 p., 12 €

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Albums Photos
Alternatives & Révolutions
Pages
TWITTER
jcS @Revocit

L'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes - Karl Marx-gauchedegauche.canalblog.com .

http://gauchedegauche.canalblog.com

     
Publicité